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Le piège de Dante

Le piège de Dante

Titel: Le piège de Dante Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arnaud Delalande
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destin.
    Enfin j’espère.
    Il se tourna vers Landretto, qui fut surpris de l’intensité de son regard.
    — Maître, non...
    Pietro hésita une seconde, puis attrapa l’orchidée à sa boutonnière.
    — C'est ce que je craignais, dit Landretto en secouant la tête.
    — Débrouille-toi comme tu veux, dit Viravolta en lui tendant la fleur, mais je veux que tu lui fasses parvenir ceci... et je veux savoir où elle loge.
    Les deux hommes échangèrent un long regard. Soupirant, Landretto prit l’orchidée.
    — Bien.
    Il tournait déjà les talons.
    — Landretto ? le retint Pietro.
    Le valet s’arrêta. Pietro sourit.
    — ... Merci.
    Landretto ajusta son chapeau sur son crâne.
    Bon. D’accord , se dit-il. Mais... et moi ? Quand est-ce qu’on s’occupera de moi, un peu ?
    Le soir même, quelque part dans Venise, une dame du nom d’Anna Santamaria, à la lueur d’une bougie, s’enivrait secrètement du parfum d’une orchidée noire. Elle souriait, songeant aux mille nuits en lesquelles, maintenant, elle se reprenait à espérer; et la lune semblait descendre depuis le ciel jusque dans ses yeux, pour les mouiller de larmes de joie.

    Federico Spadetti , capomaestro et membre de la Guilde des verriers de Murano, était seul sous les immenses halles de son atelier, et la nuit était tombée. Seul? En vérité, il n’aurait su le dire. Il se savait surveillé par les agents des Dix. Il s’en était déjà fallu de peu qu’il ne finisse aux Plombs. Et son sort définitif était loin d’être joué. Mais Federico Spadetti avait la tête sur les épaules. C'était un homme entreprenant et courageux. La Guilde le savait, elle qui avait pris fait et cause pour lui, y compris les chefs des ateliers rivaux de Murano. L'émulation et la concurrence entre gens de la corporation était une chose; mais l’attaque directe de ses représentants par le pouvoir en était une autre.
    Il restait que Federico était en bien mauvaise posture.
    En temps normal, il aimait rester seul ainsi, dans cet endroit, lorsque les éléments, apaisés enfin, s’étaient tus. Les forges de Vulcain au repos. Les fours endormis. Plus un ouvrier, plus un apprenti pour circuler d’un endroit à l’autre. Plus de cris, d’exclamations, de bruits de métal en fusion, de heurts et de souffles entrechoqués. Il aimait cette obscurité accueillante, cette paix dans laquelle les halles étaient plongées. Ce soir, on n’y voyait guère. Immobile en son empire, Spadetti, les yeux perdus dans les ténèbres, s’efforçait de profiter de cette solitude pour rassembler ses esprits. Un instant, son regard tomba sur la robe de cristal, la robe de Tazzio, cette robe d’amour inspirée, avec ses perles et ses langues de verre opalescentes, sa ceinture de diamants. Même au milieu de la nuit, elle semblait briller. Son fils l’avait achevée aujourd’hui. Federico sourit. Dans quelques semaines, le Carnaval serait de retour. En vérité, il ne s’achevait presque pas, durant six mois de l’année à Venise ; mais lors de l’Ascension, la fête battrait son plein. Federico prit une inspiration. Tout se passerait-il comme il le souhaitait ? Pouvait-il encore l’espérer? Tazzio et lui montreraient la robe au Doge... Avec une telle prouesse, ils gagneraient le concours de la Guilde – tous ne les donnaient-ils pas déjà vainqueurs? Francesco Loredan les regarderait, admiratif; il les féliciterait, il absoudrait Federico, il leur tresserait les couronnes de laurier qu’ils méritaient. Puis Tazzio irait trouver sa belle Severina. Spadetti enviait son fils, à imaginer ces instants qui l’attendaient! Severina mourrait d’amour pour lui, se couvrirait de voiles pour épargner le satin de sa peau, et elle se prêterait au miraculeux exercice de porter cette robe, la robe de cristal. Elle éclaterait de mille feux, de toute la rougeur, l’éclat de sa jeunesse. Ils s’aimeraient. Et Federico Spadetti, lui, bénirait cette union. Il veillerait sur eux. Il se souviendrait avec eux de sa propre femme trop tôt disparue, et mille, deux mille, dix mille ouvriers de la Guilde chanteraient leurs louanges.
    Federico passa une main sale à la commissure de ses lèvres. Oui... Si tout se passe bien. A ces évocations, des larmes idiotes venaient s’échouer au fil de ses paupières. Lui, Spadetti ! Citoyen et fils de fils de fils de verrier, il se laissait aller aux mouvements de son coeur. Ce soir déjà, Tazzio devait être allé chanter sa

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