Le piège de Dante
sérénade sous le balcon de la belle, guetter un baiser au fronton de son altana. Comme tu as de la chance, mon fils ! Et comme je suis heureux de ton bonheur! Mais où était-elle, sa jeunesse? Et maintenant... qu’allait-il devenir? Un voile sombre tomba devant ses yeux.
Il s’était bien défendu lors des interrogatoires menés par les agents du Conseil et de la Criminale. Et après tout, qu’avait-il à se reprocher ?
Tu le sais bien, Federico.
Une faute professionnelle. Une faute, oui... Pour l’argent. Pour l’atelier. Pour Tazzio et la robe de cristal. Une faute qui, sur le moment, ne lui avait pas semblé bien grave. Il ne s’agissait pas de renseignements vendus à l’étranger, de trafic, que savait-il encore ! Il n’avait fait que son travail : fabriquer des lentilles de verre. Et si son commanditaire avait voulu garder l’anonymat, après tout, c’était son droit. Alors pourquoi culpabiliser?... Peut-être parce que ce Minos n’avait pas voulu figurer sur le registre comptable ordinaire, conduisant Federico à falsifier le bon de commande... Peut-être parce que le verrier avait eu le sentiment, vague mais persistant, qu’on achetait son silence au moment même où il avait accepté. La perspective de ces douze mille ducats avait fait taire sa méfiance. Douze mille ducats. Ce n’était pas juste : c’étaient toujours ceux qui travaillaient le plus qu’on accusait de tous les maux.
Non, se dit Federico en serrant les poings, ça ne se passera pas comme ça.
Il avait encore de l’énergie. Il se battrait. Et s’il le fallait, il dirait qui était Minos. Il avait pris avec celui-ci un engagement – mais il n’avait jamais été question que le Conseil des Dix vînt mettre le nez dans ses affaires. Pourquoi les choses s’étaient-elles passées ainsi ? Que cherchaient-ils ? Minos avait lui aussi quelque chose sur la conscience... et sans doute quelque chose de bien plus grave. Voilà qui était limpide... comme le cristal. Federico ne pouvait plus différer le moment de revenir à la transparence. Plus il attendait, plus il risquait de tomber en disgrâce vis-à-vis du gouvernement – et dans certains cas, la disgrâce pouvait aller de la confiscation des biens jusqu’à l’emprisonnement à vie, voire la mort. Le Conseil n’était sûr de rien, c’était évident. Il avait encore été gentil . Les interrogatoires n’avaient pas été trop musclés. Mais cela ne durerait pas... Et Federico savait de quoi ils étaient capables. Alors, demain – demain, il irait les trouver et il se sortirait de ce guêpier. Tant pis si cela l’obligeait à révéler sa propre légèreté et, en l’espèce, son trop grand appétit pour les ducats sonnants et trébuchants. Il essaierait d’expliquer à Tazzio ce qui s’était passé. Son fils comprendrait, n’est-ce pas ? Il comprendrait que c’était aussi pour lui qu’il avait agi ainsi, pour que...
Oh oh. Il se passe quelque chose.
Federico releva les yeux lorsqu’il sentit qu’il n’était plus seul.
Quelqu’un, derrière lui, le regardait.
Et un four venait de s’allumer.
— Qui est là ?
Federico regarda un instant en direction de l’ombre; il devinait la silhouette d’un homme, mais ne parvenait pas à voir son visage. Etait-ce l’un d’eux, l’un des agents du Conseil ? Ou bien...
— C'est moi , dit une voix sombre.
Federico ne put retenir un cri de stupeur. Il se rattrapa bien vite.
Il avait déjà pensé à l’éventualité de cette situation.
Il s’était promis de ne pas trembler.
— Moi qui ? demanda-t-il d’une voix ferme.
Durant quelques secondes, il ne perçut qu’un souffle régulier, puis la voix répondit :
— Minos.
Spadetti ne se démonta pas. Ses yeux bougèrent furtivement en direction de l’établi qui se trouvait à quelques pas de lui, mais le reste de son corps demeura immobile. Là, contre l’établi, se trouvait un tisonnier qui devait être encore chaud. Il vit le four allumé non loin, les braises montant en rougeoyant derrière la petite lucarne grillagée.
— Minos, hein... Je vois. Qu’êtes-vous venu faire ici ? L'homme s’éclaircit la gorge.
— Des représentants des Dix et de la Quarantia Criminale sont venus vous voir récemment, Federico, n’est-ce pas? Dites-moi si je me trompe.
— C'est exact, dit Federico.
— Savez-vous que l’homme qui est venu fouiller dans vos registres est l’Orchidée Noire, l’un des plus redoutables agents de la
Weitere Kostenlose Bücher