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Le piège de Dante

Le piège de Dante

Titel: Le piège de Dante Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arnaud Delalande
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d’adresse. A la fatalité oligarchique de l’organisation en groupes d’intérêts répond l’utopie de la défense de l’intérêt général. Je déclare aujourd’hui qu’Athènes est morte et que de tout cela, il ne reste que le seul visage de l’égoïsme humain. Satan n’est-il pas le premier des menteurs ? C'est pourquoi il est si à l’aise dans l’antichambre des grands de ce monde.
    Landretto attendait Viravolta sur la gondole qui devait les emmener jusqu’à la villa d’Andreas Vicario. Le bal que donnait Vicario était costumé et, en des circonstances normales, Pietro eût été ravi d’y prendre quelques coeurs – ou, à tout le moins, de s’y amuser un peu comme au bon vieux temps. Mais la perspective d’y retrouver Emilio Vindicati, les agents déguisés de la Quarantia et l’ambassadeur de France fraîchement débarqué ne lui plaisait guère. Les diplomates étrangers demandaient souvent, de manière plus ou moins discrète, à profiter des festivités et des beautés vénitiennes ; la ville avait d’ailleurs toujours encouragé cet état de choses, car le rêve de plaisirs et de bonheur associé à Venise était de longue date l’un des socles de sa Réputation. En 1566, un catalogue avait même été établi des deux cents « plus importantes courtisanes de la cité », avec les adresses et tarifs de ces dames; ce catalogue avait longtemps circulé en secret, jusque dans les arcanes du pouvoir. Henri III lui-même s’était autrefois offert la compagnie de Veronica Franco, l’une de ces courtisanes de luxe, pour agrémenter sa venue dans la Sérénissime. Naturellement, le Doge, contraint par l’étiquette, ne participerait pas à ces festivités semi-privées, semi-publiques. Et si l’arrivée du nouvel ambassadeur français coïncidait avec celle de la Sensa , on n’en oubliait pas pour autant les usages officiels – et l’on avait déjà commencé à évoquer les affaires diplomatiques en cours. D’ordinaire, dès leur arrivée, les représentants de nations étrangères se voyaient dotés d’une somptueuse gondole d’apparat, la Négronne pour les Français ; celle-ci ne serait pourtant sortie qu’au plus fort des agapes de l’Ascension, lorsque l’ambassadeur assisterait au déploiement de fastes de la République en compagnie du Doge. En débarquant dans la lagune, Pierre-François de Villedieu – c’était le nom de l’ambassadeur – s’était empressé d’envoyer son grand chambellan chez le chevalier du Doge pour demander audience et faire ses compliments; puis son secrétaire avait présenté au Sénat le Mémoire contenant ses instructions et la copie de ses lettres de créance. Le cérémonial était habituellement respecté avec le plus grand scrupule : depuis la conjuration de Bedmar, au siècle passé, les nobles n’étaient pas censés entretenir de quelconque relation avec des diplomates étrangers, en dehors des rencontres au Collège, dans les Conseils ou au Sénat. Cela expliquait aussi pourquoi le Doge et le sieur de Villedieu tenaient à ce que les premiers divertissements organisés pour lui plaire aient lieu sans que toute la population fût au courant des allées et venues du cher ambassadeur. A cela s’ajoutaient les arrière-pensées secrètes du Doge et les circonstances exceptionnelles de la situation. Favorable à ce jeu qui ne manquait pas de piquant, et qu’il avait lui-même en partie initié, Pierre-François de Villedieu ne pouvait qu’y souscrire avec joie. Il emmènerait avec lui son protégé, le peintre Eugène-André Dampierre, qui exposerait bientôt dans la basilique San Marco les oeuvres qu’il offrirait en cadeau à Venise.
    Pietro avait passé la journée à rassembler les informations dont disposaient maintenant les Dix et la Quarantia , sans pour autant avancer dans ses recherches. La détestable impression de tourner en rond augmentait son agacement et son inquiétude. Et pour couronner le tout, voici qu’il se rendait au banquet, vêtu du déguisement de rigueur. Masque noir et or sur les yeux, chapeau orné de plumes blanches et redingote multicolore, il tenait à la fois de l’Arlequin et de ces oiseaux exotiques qu’il avait croisés au cours de ses anciens périples de Constantinople aux villégiatures de la campagne turque, lorsqu’il naviguait aux frontières de l’Orient et rencontrait de grands voyageurs. Il avait conservé son épée et ses pistolets, ainsi qu’une dague, dissimulée dans sa

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