Le piège
voulut suivre Basson. Vauvray et
Outhenin étaient partis ensemble. Mais pour qu’on ne soupçonnât pas qu’ils
allaient s’entretenir en tête à tête de cet incident, ils s’étaient
ostensiblement séparés avant de refermer la porte.
— Basson, dit Bridet en essayant de
retenir son camarade, je t’en prie, reste encore une minute. Il faut que je te
parle.
— Je n’ai pas le temps.
— Tu as bien une minute, tout de même.
Qu’est-ce qui te prend brusquement ?
— Je suis en retard... Je suis en
retard.
— Je descends avec toi. Je veux tout
de même savoir ce que signifient toutes ces histoires. C’est un peu fort.
— Je te répète que je n’ai pas le
temps. D’ailleurs, je n’en sais pas plus que toi... Je ne peux rien te dire d’autre.
Tu te fais des illusions à mon sujet. Je ne suis pas tout ici.
Basson se trouvait déjà dans le couloir. Il
faisait signe à son ami de quitter le bureau. Bridet sortit enfin. Basson tira
la porte puis, abandonnant Bridet, s’éloigna. Il ne voulait visiblement pas
descendre avec son camarade. Il feignait une hâte exagérée. Bridet courut
derrière lui.
— Et mon sauf-conduit ?
demanda-t-il.
— Rien de neuf, dit Basson en s’arrêtant
une seconde. Le gouverneur n’a pas répondu. Reviens dans quelques jours. Je n’ai
pas le temps.
Il tourna le dos à Bridet et partit.
Pour ne pas suivre immédiatement Basson et
surtout pour se donner une contenance, Bridet s’approcha de l’appariteur.
— C’est bien tous les jours entre onze
heures et midi que reçoit M. Basson ?
— Oui, Monsieur, tous les jours, mais
il n’est pas souvent là.
— Ah ! bon, dit Bridet qui
voulait faire durer la conversation. Je croyais que du moment...
L’appariteur sourit.
— Vous savez, ces Messieurs ont
tellement de travail...
** *
Bridet allait partir lorsque la porte de la
chambre 12 s’ouvrit. Un homme parut. C’était Rouannet.
— Ah ! monsieur Bridet, s’écria-t-il,
justement je voulais vous voir. Est-ce que vous ne pouvez pas m’attendre un
instant ? Je reviens tout de suite.
Bridet se mit à arpenter le hall. Il
sentait un grouillement confus autour de lui. Des papiers le concernant
circulaient de bureau en bureau. Pourquoi ? Comment se faisait-il qu’on ne
lui disait rien ? C’était de plus en plus inquiétant. L’attitude de Basson
était bizarre. Il avait été cordial et, tout à coup, il avait changé. Et ce
rapport ? Un rapport de qui et sur quoi ? Mais Rouannet ne venait-il
pas de lui parler avec beaucoup de gentillesse ? « En réalité, il ne
se passe rien. C’est Yolande qui a gaffé en téléphonant. C’est toujours la même
chose, pensa-t-il, en se souvenant de Rouannet, les étrangers sont plus simples
et plus gentils que les amis. »
Rouannet reparut peu après. Il était
toujours aussi respectueux qu’au restaurant. On sentait que, par manque de
psychologie, il s’imaginait que Bridet appartenait à cette classe sociale un
peu haineuse et un peu aigrie qui venait de prendre le pouvoir et qui, quoique
encore barrée à certains postes par les vieux éléments, montrait bien qu’elle
était consciente de sa force.
— Je vous en prie, asseyez-vous,
monsieur Bridet, dit Rouannet en poussant un fauteuil et en se déployant en
amabilités.
Bridet était surpris que Rouannet occupât
un bureau aussi grand et que les employés lui témoignassent cette déférence que
lui-même témoignait à tous les jeunes fonctionnaires.
— J’allais vous écrire, dit Rouannet.
Bridet remarqua qu’il avait une conscience
beaucoup plus nette de son rôle que les Outhenin, Basson, Vauvray et C ie .
Il n’avait pas l’air de croire, comme on dit, que c’était arrivé. Il ne sonnait
pas pour demander le moindre service.
— Attendez, dit-il après avoir cherché
réellement un papier.
Il ouvrit une porte, appela une secrétaire.
Comme elle tardait, il passa dans la pièce voisine.
— Excusez-moi, dit-il en revenant.
Il avait laissé la porte ouverte.
— Apportez-moi le sauf-conduit de M.
Bridet ! cria-t-il comme personne ne venait.
Il s’assit enfin.
— Je voulais vous écrire, continua-t-il,
pour vous dire que vos papiers étaient prêts. Nous avons reçu avant-hier une
réponse à notre télégramme. Le gouverneur ne fait naturellement aucune
objection à votre venue en Afrique. Je dois vous dire d’ailleurs que notre
demande n’était que pure courtoisie à son égard. Il n’a
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