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Le piège

Le piège

Titel: Le piège Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Emmanuel Bove
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disais, dit Basson.
    Bridet, qui était debout entre les deux
hommes, eut un léger vertige qui lui fit faire un pas de côté. Pour qu’on ne s’aperçût
de rien, il en fit deux autres comme s’il avait envie de marcher. Il alluma une
cigarette, mais il avait la bouche si sèche qu’il ne put la fumer. Basson prit
le téléphone. Depuis qu’il avait changé de bureau, il disposait d’un véritable
petit standard. Il pressa sur un bouton, puis sur un autre. Une hélice blanche
parut derrière un cadran de verre.
    — C’est vous, Outhenin ? Vous
êtes avenue Victoria ? Est-ce que vous ne pourriez pas faire un saut jusqu’ici ?
Oui, il est dans mon bureau. Il est incapable de me dire ce qui s’est passé.
Mais est-ce qu’il existe un dossier ou est-ce qu’il n’en existe pas ? Oui,
Bridet est ici. Il faudrait en finir avec cette histoire. Ah ! Il y a donc
un dossier... Je ne le savais pas. Apportez-le-moi si vous pouvez. Bon, très
bien, nous vous attendons.
    Bridet, que cette conversation avait rendu
de plus en plus nerveux, sentit tout à coup la colère l’envahir.
    Il dit, en faisant un grand effort pour se
contenir :
    — Il faut que vous n’ayez pas
grand-chose à faire pour vous amuser à constituer des dossiers sur tout le
monde.
    Basson plaisanta :
    — Des dossiers, nous ne faisons que ça
en ce moment ! dit-il en feignant de se moquer de lui-même et de toute l’administration.
Il nous faut des archives. Nous ne pouvons pas travailler sans archives. Les
Boches sont idiots. Ils feraient mieux de nous les rendre. Cela nous aiderait.
N’est-ce pas, Vauvray ?
    Au lieu de répondre, ce dernier se mit à
rire, comme les gens qui ne veulent pas se compromettre.
    ** *
    Outhenin était un petit homme trapu, d’une
trentaine d’années, au front bas et aux sourcils épais. Il boitait légèrement
car il avait été blessé au mollet au cours de la « campagne 39-40 ».
Détail curieux, il avait conservé sa barbe en collier de la ligne Maginot. Il portait
à la boutonnière un insigne d’acier bruni où Bridet crut distinguer une hache.
On avait peine à s’imaginer qu’un homme qui s’occupait d’une chose aussi
importante que la liberté de ses semblables eût un aspect aussi médiocre. Il
appartenait au service des Renseignements généraux. Mais il n’en dépendait pas
moins, pour certaines affaires, de Basson. Son regard était celui d’un homme
intelligent, habile, prudent et qui ne témoignait à ses supérieurs que le
minimum de respect indispensable.
    Basson lui présenta Bridet. Outhenin eut
juste une inclinaison de tête, comme si cette formalité risquait de lui faire
oublier les explications qu’il apportait. Il tendit à Basson une chemise bleue
à un coin de laquelle était imprimé le numéro 864 au composteur. Basson ouvrit
la chemise. Bridet remarqua tout de suite qu’elle ne contenait qu’une lettre à
laquelle était épinglée une enveloppe, ce qui lui causa cette inquiétude que
nous donnent les dossiers en voie de formation. On prévoyait donc que d’autres
pièces allaient s’ajouter à cette lettre.
    — Vous appelez ça un dossier ! s’exclama
Basson.
    — Oui, dit Outhenin.
    Bridet essaya de lire à l’envers l’en-tête,
mais il ne pouvait se concentrer.
    — Oui, oui, dit Basson en parcourant
la lettre. Mais ça, c’est son avis personnel.
    Outhenin ne répondit pas. Il ne semblait
pas attacher d’importance au document qu’il venait d’apporter. Mais en même
temps, par son silence, il montrait que ce document existait tout de même.
    — Ce n’est pas très grave, dit Basson
en tournant la lettre pour lire un mot en travers.
    — Qu’est-ce que c’est ? demanda
Bridet.
    — Ton commissaire de Lyon. Ils sont
vraiment comiques, ces fonctionnaires de province !
    Puis s’adressant à Outhenin :
    — C’est tout ?
    — On ne m’a rien communiqué d’autre,
répondit Outhenin. Il faudrait s’adresser à Bavardel. Ce genre d’affaire dépend
de Bavardel.
    — Quel genre d’affaire ? et qui
est Bavardel ? demanda Bridet.
    — Oh ! c’est un très chic type.
    Se tournant de nouveau vers Outhenin,
Basson ajouta :
    — Ce n’est pas la peine. Vous,
Vauvray, vous n’avez rien eu, n’est-ce pas ? On ne vous a rien envoyé ?
    — Rien.
    — Eh bien ! attendons. On verra.
Tenez, Outhenin, emportez votre bien.
    Basson se leva aussitôt après, prit son
chapeau et ses gants.
    — Je dois m’en aller.
    Bridet

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