Le piège
négliger qui pût consolider sa position vis-à-vis
des fonctionnaires de la police. Au lieu de traîner dans les rues, il irait
tout de suite rendre visite à Laveyssère. Il ne lui demanderait rien. Il lui
parlerait de choses et autres, il laisserait entendre qu’il s’habituait à
Vichy, qu’il s’y plaisait même, qu’il n’était pas du tout pressé de partir. De
temps en temps, il ferait cependant une allusion discrète à un départ éventuel.
Peut-être irait-il en Afrique. On s’occupait justement de lui, à l’Intérieur.
On était en train de lui établir un sauf-conduit. On avait télégraphié au
gouverneur de l’Algérie. Il ne savait pas si celui-ci avait répondu. Basson n’avait
rien reçu. Mais, d’autre part, dans les services, il semblait qu’une réponse
fût arrivée. Il comptait passer le lendemain à l’hôtel des Célestins pour en
avoir le cœur net. Mais au fond, il ne tenait plus à partir. Quand il était
venu à Vichy, il avait cru que c’était dans l’Empire qu’il pourrait le mieux
servir la France. Depuis, il avait parlé à beaucoup de monde et maintenant, il
avait le sentiment qu’en restant il serait plus utile encore.
Quand il arriva devant l’Hôtel du Parc, il
n’osa entrer. C’était insensé, mais il avait peur que toutes ces polices
militaires, personnelles, civiles, municipales qui montaient la garde à l’entrée,
qui allaient et venaient dans le hall et se consultaient à chaque instant, au
lieu de le diriger simplement sur le bureau de Laveyssère, ne lui fissent subir
un interrogatoire dont il n’était pas sûr de se tirer à son avantage.
Il alla se promener sous l’interminable
marquise qui recouvre l’allée macadamisée longeant le boulevard Albert-I er .
Décidément, il n’était pas de taille à lutter avec tous ces gens.
7
Le lendemain, Bridet se leva très tôt. Il
avait décidé de régler sa note et de déposer sa valise dans un petit café
voisin de la station des cars. Ensuite, seulement, il se rendrait au ministère.
De cette façon, il se sentirait plus libre. Quoi qu’il arrivât, il partirait le
jour même, avec ou sans papiers.
Il n’y avait personne dans le bureau de l’hôtel
des Deux-Sources. Il frappa à la porte vitrée, l’ouvrit, avec l’espoir que le
bruit attirerait quelqu’un. Il posa sa valise sur le canapé canné de l’entrée,
puis s’engagea dans le long couloir qui faisait face à l’escalier. Au fond de
ce couloir se trouvait une porte qui communiquait avec un café voisin. Bridet s’était
souvent demandé si les deux établissements, l’hôtel et le café, appartenaient à
la même propriétaire, tant la clientèle de l’un et de l’autre était différente.
Il entrouvrit la porte. Sur le comptoir, des tranches grillées de mauvais pain
remplaçaient les croissants.
— Est-ce que la dame de l’hôtel est là ?
demanda Bridet. Je quitte ma chambre et je voudrais régler ma note.
— Elle n’est pas dans son bureau ?
— Non.
— Attendez, je vais voir.
Une grosse femme qui portait un tablier
blanc partit à la recherche de la propriétaire.
— Elle doit être dans sa chambre,
dit-elle, après avoir ouvert deux ou trois portes.
Bridet attendit devant le bureau. Personne
n’était encore sorti car aucune clé ne pendait aux crochets des cases. Bridet
se frottait les mains. Il avait cette manie après avoir fait sa toilette. Il se
demandait, depuis son réveil, quelle était l’heure la plus convenable pour
aller voir Rouannet. Neuf heures et demie était un peu tôt, quoiqu’on affectât
d’être matinal, à Vichy. Dix heures, oui, dix heures, ce n’était pas mal. Ou
dix heure et quart. Mais Basson risquait d’être déjà arrivé. « J’aurais dû
me renseigner auprès de l’appariteur, hier, puisque justement je cherchais
quelque chose à lui dire. »
À ce moment, il aperçut la grosse femme au
tablier blanc qui revenait du premier étage.
— Madame descend, dit-elle.
Un instant après la propriétaire de l’hôtel
parut. C’était une femme blonde, mais déjà âgée. Elle portait un peignoir de
couleur voyante. Elle donnait néanmoins une impression de très grande respectabilité.
« Elle a déjà préparé ma note, pensa Bridet en remarquant qu’elle tenait à
la main une enveloppe. Elle a fait vite. »
— Vous partez, Monsieur ?
dit-elle en tendant cette enveloppe à Bridet.
— Oui.
— Bien. Je vais vous préparer
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