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Le piège

Le piège

Titel: Le piège Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Emmanuel Bove
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votre
note.
    — Ce n’est pas la note ? demanda
Bridet en montrant l’enveloppe.
    — Non, non. C’est une lettre qu’on a
apportée pour vous ce matin. Bridet sentit son cœur se serrer.
    — Pourquoi ne l’avez-vous pas mise
dans ma case ?
    — On m’a priée de vous la remettre en
main propre.
    Bridet déchira l’enveloppe, mais il
tremblait si bien qu’il déchira le contenu en même temps. En rajustant les deux
morceaux, il lut :
    « État Français.
    « Sécurité Nationale.
    « Cabinet du Directeur.
    « H. C. 17.864.
    « Vichy, le 13 octobre 1940.
    « M. Joseph Bridet est prié de passer
à la Sécurité Nationale, 18, rue Lucas, jeudi matin, à dix heures, pour affaire
le concernant.
    « Pour le Directeur
général. »
    Sur un cachet rouge, une sorte de serpent
représentait la signature. En travers et souligné, le mot « Convocation »
était écrit à la plume.
    — Voici votre note, dit la
propriétaire.
    Bridet regarda avec étonnement le long
papier étroit, de ce format des factures, qu’on lui tendait. Pendant qu’il
avait lu la convocation, la propriétaire s’était assise à son bureau. Elle
avait cherché une plume, débouché une bouteille d’encre, consulté ses livres,
fait le relevé des suppléments, additionné tous les chiffres sur un papier à
côté, reporté le total sur la note. Elle s’était levée, elle lui avait apporté
cette note. Elle avait fait tout cela et il ne s’en était même pas aperçu.
    Bridet paya et sortit. Des nuages gris,
fondus les uns dans les autres, cachaient le ciel. Il était huit heures et
demie. Peu de gens circulaient dans les rues. On eût dit qu’il y avait eu une fête
la veille. Les chaises étaient encore pêle-mêle autour du kiosque à musique. Il
y en avait d’isolées au pied des arbres, de renversées, de rassemblées par cinq
ou six ou par deux, évoquant des groupes de vieilles dames ou des couples d’amoureux.
Bridet entendit chanter. Un détachement de jeunes gens en uniforme, mais sans
armes, passaient la tête haute, avec une fierté ombrageuse. Le mot « espérance »
revenait sans cesse sur leurs lèvres.
    Bridet marcha pendant quelques minutes,
droit devant lui, sans penser, comme si rien ne s’était passé, de la façon la
plus normale qui fût, par cette réaction instinctive qui, devant le malheur et
la douleur, nous fait cacher notre émotion le plus longtemps possible.
    Puis il s’arrêta, relut la convocation. « Ça
y est... » murmura-t-il. Il se souvint de la journée de la veille. « Ça
y est. Ils vont dire que j’ai essayé d’obtenir frauduleusement mes papiers. Ils
vont m’arrêter. Ils ont leur motif à présent. Je sentais bien aussi que je ne
devais pas faire ça. Comment ai-je pu m’imaginer une seconde que j’allais les
rouler ? Ils doivent être furieux C’est ce barbu de Rouannet qui a fait le
coup. Il devait être de connivence avec Basson. Tout ça, c’était arrangé, et
moi, comme un imbécile, je suis tombé dans le panneau. En fait de gaullisme, je
suis gaullé. »
    Bridet croisa encore le détachement qu’il
avait déjà rencontré et dont l’officier, marchant en tête ne se retournait
jamais, tellement il était sûr de la parfaite tenue de ses hommes.
    À ce moment, Bridet eut le sentiment que
rien ne pouvait lui être reproché. Sa défense était facile. Il était de bonne
foi. Il n’avait pas cru mal agir. Il dirait à la Sécurité nationale qu’il se
proposait justement d’aller voir monsieur Basson. Ce nom ferait son petit
effet. Il dirait que c’était monsieur Rouannet qui l’avait appelé, qui le
premier lui avait parlé de son sauf-conduit. Il n’avait pas pu s’imaginer une
seconde que monsieur Rouannet outrepassait ses droits. Il dirait : « Je
ne savais pas. Je ne pouvais tout de même pas me méfier d’un fonctionnaire. »
    Après avoir constaté que personne ne le
suivait, Bridet pensa qu’après tout, il était toujours libre. Il pouvait très
bien ne pas l’avoir reçue, cette convocation, ne pas s’y rendre. En effet, si
en sortant il n’avait pas demandé à voir la propriétaire, elle n’aurait pas pu
la lui remettre. Rien ne l’empêchait encore de partir. Il pouvait très bien
prendre le premier car pour Saint-Germain-des-Fossés, disparaître.
    Tout en marchant, il reprenait confiance.
Qu’est-ce qui prouvait que cette « affaire le concernant » était
dangereuse pour lui ? Cette affaire était peut-être, au

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