Le piège
laissé aller.
— Veuillez vous approcher, monsieur
Bridet, dit Schlessinger.
Bridet s’aperçut que seul il était resté
assis. Il se leva précipitamment. Maintenant, il se trouvait debout, à côté de
Basson, face au bureau.
— Est-ce que vous vous connaissez ou
est-ce que vous ne vous connaissez pas ? demanda Schlessinger, comme agacé
par une comédie qui durait depuis trop longtemps.
Basson et Bridet se regardèrent ouvertement
pour la première fois.
Bridet hésita un instant. Il venait d’avoir
soudain le sentiment qu’il avait manqué de naturel, que lié comme tout le monde
savait qu’il l’était avec Basson, il eût dû lui parler tout de suite sans y
être invité, lui tendre même la main.
Basson se taisait aussi. Il examina son
camarade des pieds à la tête, puis, comme si on lui avait posé cette question à
propos d’un indifférent, il répondit avec froideur :
— Je connais en effet M. Bridet.
— Oui, oui, nous nous connaissons, dit
ce dernier.
Basson demeura impassible. Il ne niait pas
qu’il connaissait Bridet, mais on sentait qu’il méprisait cette ruse policière
qui consistait à vouloir l’atteindre par l’intermédiaire d’un ami. Il n’en
voulait pas à celui-ci de s’y prêter. Mais par sa froideur, il montrait aux
policiers qu’ils perdaient leur temps, que son amitié pour ce camarade de jadis
n’avait pas une importance telle qu’elle pût l’embarrasser dans ce qu’il avait
à dire pour sa défense.
Schlessinger ouvrit sa serviette. Il n’en
tira aucun papier.
— Vous affirmez, dit-il aux deux
hommes, ne vous être jamais rencontrés à Lyon.
— Je l’affirme, s’écria Bridet tout
heureux de dire la vérité.
Basson ne répondit pas. Par son air
dédaigneux, il laissait entendre que si c’était tout ce qu’on avait à lui
demander, il ne voyait pas l’utilité de répondre.
Cette attitude dut déplaire à Schlessinger,
car il le prit seul à partie
— Vous ne vouliez pas envoyer votre
ami Bridet en Afrique ?
— Il me l’a demandé, il le voulait,
lui.
— Comment se fait-il que vous lui ayez
donné un sauf-conduit ? On vous avait pourtant fourni sur son compte les
plus mauvais renseignements.
— Je n’ai eu connaissance de ces
renseignements qu’après. Aussitôt, je l’ai évincé. Quand il est venu me voir
hier, je lui ai dit que je n’avais pas de réponse.
— Oui, mais vous n’avez pas prévenu
les services. Tout s’est passé comme si vous vouliez que ce départ se fît à
votre insu. Ne comptiez-vous pas vous servir de Bridet comme d’un messager ?
— Jamais.
— Oh ! jamais, confirma Bridet.
— Vous dites, poursuivit Schlessinger,
que vous l’avez évincé. Mais il est curieux que vous ayez attendu pour le faire
que nous soyons en possession de vos télégrammes de Lisbonne.
Basson passa sa langue sur ses lèvres. Il
transpirait, mais à peine. Aucune goutte de sueur sur son visage, mais une
sorte de moiteur, comme la trace d’un linge humide sur du marbre.
— Bridet m’a demandé un sauf-conduit
que je lui ai refusé, un point c’est tout, dit Basson. En supposant que j’eusse
eu besoin d’un agent, je vous prie de croire que je l’eusse mieux choisi. Quant
aux télégrammes de Lisbonne, c’est une autre histoire.
Schlessinger se tourna vers Bridet :
— Que faisiez-vous donc
continuellement au ministère de l’Intérieur ? Et ce voyage à Lyon ?
Un sauf-conduit ne nécessite pas tellement de démarches, d’allées et venues,
surtout quand on est l’ami de M. Basson.
— On me priait toujours de revenir. Je
comprends à présent pourquoi. Comme il vient de le dire, M. Basson n’a jamais
eu l’intention de me donner un sauf-conduit. Il me lanternait, n’osant, par
amitié, m’opposer un refus formel.
Bridet avait prononcé ces mots sur un ton
amer. En réalité, depuis qu’il avait eu la révélation que Basson pensait comme
lui, agissait contre Vichy, il s’était senti envahi d’un immense besoin de le
servir, de se dévouer pour lui, de lui montrer qu’il était fidèle en amitié.
Mais il n’osait le faire. Il devinait que c’était justement ce que redoutait
Basson, que la froideur de celui-ci, que ce souci de le tenir à distance,
venaient de ce qu’il craignait plus d’être compromis qu’aidé.
— Je crois que M. Bridet peut se
retirer. Nous n’avons pas encore reçu la visite de l’informatrice dont je vous
ai parlé, interrompit M.
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