Le piège
Saussier. Elle doit arriver ce soir par le train de
sept heures. Son témoignage nous sera très précieux. Si j’apprends quelque
chose, je ferai prévenir M. Bridet. Pour le moment, il me semble qu’il vaut
mieux tâcher de tirer au clair l’histoire des télégrammes.
— N’oubliez pas que demain soir je
pars pour Paris et que je ne serai de retour que samedi, dit Schlessinger.
Puis, s’adressant à Bridet, il ajouta :
— Vous pouvez vous en aller, monsieur
Bridet. Revenez demain matin.
Bridet était si heureux d’être libre et ce
qui lui arrivait était tellement inattendu après toutes ces émotions qu’il ne
put cacher sa joie, malgré la honte qu’il avait de la montrer et de paraître
avoir admis, sans protester davantage, qu’il avait été jusqu’à cette minute
privé de sa liberté.
— Merci, merci, dit-il avec ce besoin
d’amour ou plutôt de fraternité, avec cette expression de reconnaissance, de
candeur, de profonde sincérité auxquels les policiers n’attachent aucune
importance quand leur chef vous considère comme coupable, mais qui les émeut
venant d’un homme à qui justice est rendue.
— Vous n’avez aucune raison de nous
remercier, dit Schlessinger en s’adressant à Bridet comme à un hurluberlu.
— Tu viendras me voir, dit Basson sans
cacher un léger mépris pour ce camarade qui savait si peu se maîtriser et
surtout pour montrer à tous ces policiers qu’il ne doutait pas de l’issue
heureuse de l’enquête.
Bridet se dirigea vers la porte. Toute l’assurance
qu’il avait perdue au cours de cette effroyable journée lui était revenue. Il s’arrêta
pour allumer une cigarette. Maintenant qu’il était libre, il ne voulait pas
avoir l’air pressé de partir, il éprouvait même un besoin incompréhensible de
rester, d’assister en témoin à ce qui allait suivre. Au moment de quitter la
pièce, il ne put s’empêcher de retourner dire encore un mot à Schlessinger.
Il était à deux pas du bureau lorsqu’il
entendit le haut fonctionnaire-policier, qui n’avait pas prévu cet étrange
retour, dire à Saussier, sans lever le nez de ses papiers : « C’est
un sous-fifre, votre Bridet... ».
Cette opinion peu flatteuse n’arrêta pas
Bridet. Il voulait paraître n’avoir jamais douté que la vérité triompherait. Le
meilleur moyen qu’on s’aperçût de sa confiance était de montrer qu’il avait de
la suite dans les idées. Il était venu à Vichy demander un sauf-conduit. Est-ce
qu’on allait le lui donner à présent ? Il s’approcha encore du bureau.
Basson ne le regarda pas. Il avait toujours la bouche entrouverte. De temps en
temps, il portait avec vivacité la main à son visage comme si une mouche l’importunait.
Mais ce n’était pas une mouche, c’étaient à présent des gouttes de sueur
isolées qui coulaient sur sa peau.
— Excusez-moi, dit Bridet sur le ton d’un
homme qui cherche à augmenter la sympathie secrète qu’il croit avoir inspirée,
mais je voulais vous dire deux choses. Vous m’avez prié de revenir demain
matin. Voulez-vous que je vienne vers dix heures ? D’autre part, je
voulais vous parler de mes papiers. Mais je vous en parlerai demain. Je vois
que vous n’avez pas le temps.
— Oui, dix heures, c’est parfait, dit
Schlessinger en levant les yeux et en regardant Bridet comme s’il ne savait
plus très bien qui il était.
Ce dernier sortit de la pièce. Comme il
traversait le vestibule d’un pas rapide, il entendit :
— Une seconde, monsieur Bridet.
Il reconnut la voix de ce Bourgoing avec
qui il avait fait un déjeuner forcé et qui était en train de bavarder avec un
de ses collègues. Bridet se retourna, simulant un profond étonnement.
— Vous avez quelque chose à me dire ?
demanda-t-il.
— On vous a permis de partir ?
interrogea Bourgoing.
— Oui.
— Mais moi, on ne m’a pas prévenu.
L’inspecteur prit son collègue à témoin.
— Tu es au courant ?
demanda-t-il.
Bridet, qui n’avait jamais été un
personnage bien important, craignit comme tant de fois dans sa vie d’être
victime de subalternes.
— Je viens de prendre congé de M.
Schlessinger, dit-il sèchement.
— Oui, c’est possible, mais M. Schlessinger
ne m’a rien dit.
— Je vous répète que je viens de le
quitter.
Les deux inspecteurs se regardèrent.
— Va voir, dit l’un.
— Ce n’est pas la peine de faire du
zèle, remarqua Bridet.
— Oh ! il vaut mieux que
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