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Le Pont de Buena Vista

Le Pont de Buena Vista

Titel: Le Pont de Buena Vista Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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s'ennuie, je pourrai lui détailler les exploits de nos écumeurs des mers. Nous nous les transmettons de génération en génération sans tenter de démêler le vrai du faux, répliqua le médecin.
     
    – Je sais déjà par mon ami Tilloy qu'Edward Tech, dit Barbe-Noire, s'était nommé lui-même juge suprême de Nassau, que Calico Jack Rackam inventa le pavillon à tête de mort, que Henry Every tortura une parente du Grand Mogol pour avoir ses bijoux, et que résidait à Nassau une femme pirate, nommée Ann Bonny, qu'admirait fort naïvement la jeune lady Ottilia, dit Charles, amusé.
     
    – Tout cela nous éloigne de ce qui nous intéresse. Que diable vous apprirent les rapports des gratte-papier de Sa Majesté ? insista Uncle Dave.
     
    – Ils nous révélèrent une bien curieuse histoire. D'abord, que don Pascual a en effet été pirate. Je résume son aventure, connue d'après ses propres confidences, celles de pirates repentis avec qui il avait navigué, et, surtout, par le récit qu'il fit, à la fin de sa vie, à un historien espagnol dont j'ai oublié le nom mais dont les écrits figurent dans les archives. En vérité, ce moine, après plusieurs années passées chez les Indiens d'Amérique centrale, rentrait en Espagne, où il était rappelé par ses supérieurs pour mauvaise conduite et insubordination. Le galion chargé d'or et d'argent qui conduisait le religieux et d'autres passagers à Cadix fut abordé, dans le canal des Bahamas, par un navire pirate, pillé et abandonné, sans voiles ni gouverne, au hasard des courants. Suivant leurs habitudes sanguinaires, les forbans torturèrent et tuèrent sans distinction d'âge ni de sexe, mais épargnèrent le moine. D'une foi chancelante, jouisseur impénitent, don Pascual se mit au service de ses ravisseurs, trouvant leur vie aventureuse plus attrayante que celle qui l'attendait dans un couvent castillan.
     
    – Bel aumônier que voilà ! Il devait distribuer plus souvent l'extrême-onction que donner le baptême, ironisa Mark Tilloy.
     
    – Les pirates craignaient Dieu, mon cher, et notre don Pascual, ayant appris à manier la hache d'abordage aussi aisément que le goupillon, s'attira le respect des scélérats. Vint le jour où le bateau sur lequel il naviguait captura un autre galion espagnol. Le butin fut abondant : doublons, bijoux, beaux vêtements, vaisselle de vermeil, argenterie, armes. La plupart des passagers et des membres d'équipage furent tués, mais don Pascual obtint qu'on épargnât deux jésuites. Croyant avoir affaire à un religieux honnête, captif des aventuriers, les prêtres, placés sous sa surveillance plutôt que sous sa protection, confièrent au renégat qu'ils transportaient, dans un coffret censé contenir les objets du culte, auxquels les pirates, plus superstitieux que chrétiens, ne touchaient jamais, un trésor inestimable : une relique promise au roi d'Espagne. Cette possession, dénoncée par Pascual, éveilla la cupidité des pirates, qui s'emparèrent du coffret et jetèrent les jésuites par-dessus bord. Le couvercle forcé, tous reculèrent, terrorisés. Une tête de mort irradiait sous le soleil, tel un énorme bloc de verre à facettes, un scintillement aveuglant. Plus effrayant encore : les orbites n'étaient pas vides. Les yeux, dont le blanc, entre des paupières veinées de rose, cernait une prunelle verte et un iris bitumineux, n'avaient rien d'humain. Ils dardaient un regard insoutenable et d'une étrange fixité, bien que chaque témoin le perçût comme à lui seul destiné. Tombé à genoux, don Pascual cria aux mécréants qu'il devait s'agir du chef d'un saint ou d'un roi transformé par miracle en pierre inaltérable et translucide. Y porter une main impure, c'était la mort assortie de la damnation éternelle. Comme les pirates restaient partagés, les uns considérant l'objet comme butin négociable au plus haut cours, les autres craignant de s'attirer les foudres célestes, don Pascual réitéra son avertissement en se signant.
     
    – Tardive humilité devant le mystère ! observa Mark Tilloy.
     
    – Pas du tout. Pour le moine, l'objet n'avait rien de mystérieux. Ayant vécu chez les Mayas, il venait de reconnaître un de ces crânes sculptés dans le cristal de roche par d'habiles lapidaires du Honduras. Ces artistes polissaient avec soin le quartz et enfonçaient dans les orbites de la magnésite, dite écume de mer, pour figurer le blanc de l'œil, puis fabriquaient

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