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Le Pont de Buena Vista

Le Pont de Buena Vista

Titel: Le Pont de Buena Vista Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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de la belle Ounca ?
     
    – L'amour est pour moi un sentiment nébuleux, Malcolm. Je suis trop lucide, en toute circonstance, pour confondre le désir qu'on peut avoir d'une femme avec la passion exclusive qu'on doit, paraît-il, éprouver quand on s'abandonne à l'amour. Être amoureux, pour moi, serait accepter avec enthousiasme et irréflexion une complète subordination des sens, du cœur, de l'esprit à un être élu. Mais, rassurez-vous, je n'en suis pas encore là, répondit Charles, jovial.
     
    – C'est une très belle fille, qui doit certainement vous donner du plaisir, reprit Murray.
     
    – À ce jour elle ne m'a donné que le plaisir des baignades, de sa présence et de sa conversation. Il serait malséant de lui demander davantage. Voyez-vous, Malcolm, vous en êtes encore à considérer les gens qui ne sont pas de pure souche européenne, si possible britannique, comme des humains de second choix. De là vous vient l'idée que les femmes nées dans les îles, même éduquées à l'anglaise et instruites, ne doivent rien refuser à l'envahisseur, porteur d'une civilisation contestable.
     
    – Vous parlez comme Lamia, qui a élevé – assez bien, je le reconnais – la fille née accidentellement d'une rencontre de mon oncle avec une indigène, mais…
     
    – … mais ce n'est pas parce qu'elle a une part de sang indien, la peau teintée, les yeux trop fendus, et pas de père avoué, qu'elle n'a pas droit, en tant que femme, au même respect qu'une lady qui aurait la peau blanche, les yeux ronds, des amants titrés et d'estimés – sinon d'estimables – ancêtres, précisa Charles.
     
    – En somme, vous ne savez pas ce qu'on éprouve quand on est amoureux ? réitéra Malcolm, revenant à sa première question.
     
    – Et vous, le savez-vous ?
     
    L'architecte prit un temps de réflexion comme s'il interrogeait sa mémoire.
     
    – Oui. Je l'ai su, je le sais, chaque jour qui passe, dit-il, soudain grave.
     
    – Comment ça ? Puis-je en apprendre davantage ? demanda Desteyrac.
     
    – Allons dans ma chambre. Il y a de la bière dans le rafraîchissoir et, si vous aimez les histoires tristes, je vous conterai la mienne, proposa Malcolm.
     
    Une fois les verres emplis de bière et les deux amis installés confortablement, Murray à demi allongé sur son lit, Charles occupant le seul fauteuil de la cabine, l'ingénieur amorça la confidence promise.
     
    – Ainsi, vous avez été amoureux de votre cousine Ottilia ? demanda-t-il.
     
    Un bref éclat de rire de Murray le détrompa.
     
    – Amoureux d'Ottilia ! C'est impossible, voyons ! Ma cousine m'est trop proche, trop intime, nous sommes trop libres l'un avec l'autre. On nous baignait nus, ensemble, quand nous étions petits, alors ! À Londres, ces dernières années, nous avons parfois joué aux fiancés. Ça permettait à Ottilia d'écarter les hommes trop pressants… enfin, ceux qui ne lui plaisaient pas. Non, ce n'est pas elle qui aurait pu me conduire, comme vous le disiez tout à l'heure, à « une complète subordination des sens, du cœur et de l'esprit » !
     
    – Il s'agit donc d'une autre femme. Pardonnez cette bévue, dit Charles.
     
    – Mon ami, celle dont je fus amoureux, à l'âge de quatorze ans, au point de me rendre malade, est connue de toute l'Angleterre. Cela peut vous sembler stupide, anormal, voire pathologique, mais vous n'imaginez pas combien, tant d'années après, alors que je suis devenu un homme, cette histoire d'adolescence d'un amour fou, qui ne fut jamais consommé, me hante encore. Elle s'appelait Grace Darling, une héroïne de légende. Elle est morte à l'âge de vingt-six ans, de la tuberculose.
     
    – Une héroïne de légende !
     
    – Oui, une véritable héroïne. Écoutez plutôt. Le 7 septembre 1838, cette jeune fille accomplit un acte de courage extraordinaire. Ce jour-là, le vapeur Forfashire , avec soixante passagers à bord, pris dans une tempête de la mer du Nord, se jeta sur les récifs et se rompit près de Big Harcar Island, sur la côte du Northumberland. Grace vivait avec son père, William Darling, gardien du phare voisin de Longstone Island, quand le naufrage eut lieu. Par la fenêtre, elle vit dans la tourmente neuf personnes cramponnées aux rochers et convainquit son père que, malgré la furie des flots et les bourrasques de vent, il fallait tenter de les secourir. Darling ne put empêcher Grace de l'accompagner dans sa barque, fort

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