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Le Pont de Buena Vista

Le Pont de Buena Vista

Titel: Le Pont de Buena Vista Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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merveille, risqua Charles.
     
    – On va voir combien de temps il résistera aux vents du nord. Et puis, monsieur, le fer rouille, se corrode, s'affaiblit, et un jour, crac ! le pont se tordra comme un torchon qu'on essore. Et le train s'en ira finir dans le fleuve, diagnostiqua le brasseur.
     
    Charles se garda bien d'engager la polémique et de rappeler que plusieurs ponts de bois vieillissants s'étaient rompus au passage de trains.
     
    Comme le crépuscule s'annonçait entre Lancaster et Middletown, le chef de train vint allumer les lampes à huile de baleine qui se balançaient au plafond sous des globes de verre taillé, au bout de tiges de cuivre articulées, ce qui maintenait la flamme en position verticale, quelle que fût, dans les courbes, l'inclinaison de la voiture et les soubresauts des bogies sur les aiguillages. Il faisait nuit noire quand le train arriva à Harrisburg. Charles ne vit que quelques lumières de la capitale de la Pennsylvanie, mais Van Greuben, regrettant que le beau palais du gouvernement construit sur une colline ne fût pas visible, tint à instruire son compagnon.
     
    – Cette ville doit son nom à un acte de piété filiale. Elle a été fondée en 1785 par John Harris en souvenir de son père, un trappeur qui avait été pendu en 1719 par les Indiens, révéla le brasseur.
     
    Évoquant les ressources minières de la Pennsylvanie – plomb, cuivre, fer, surtout houille –, il précisa, glorieux, que l'État fournissait assez de charbon pour chauffer toute l'Union et qu'au cours de l'année précédente on avait tiré des mines pour plus de vingt millions de dollars d'anthracite.
     
    Comme Charles calculait mentalement que vingt millions de dollars équivalaient à peu près à cent millions de francs, son interlocuteur lui rappela qu'un Français nommé Girard, qui possédait des mines en Pennsylvanie, avait fait preuve d'une grande lucidité en déclinant l'offre de ceux venus lui proposer, en 1849, la création d'une société pour chercher l'or en Californie.
     
    – « Il y a des mines que j'estime plus que celles-là : ce sont les mines de cuivre, et, bien au-dessus de ces dernières, je place encore les mines de charbon, qui sont de vraies mines d'or 3  », a répondu votre compatriote, homme raisonnable. Eh bien moi, monsieur, je me suis inspiré de son exemple. Je n'ai pas mis un cent dans les placers 4 , mais je vends, bon an mal an, des milliers de gallons de bière à ceux qui cherchent de l'or souvent sans en trouver. Laver l'or à la batée ou piocher la terre donne soif à ces gens. La bière, mon gars, c'est la mine d'or Greuben ! fit l'Américain, soulignant son contentement d'une tape vigoureuse sur le genou du Français.
     
    Après Harrisburg, le convoi franchit la Susquehanna sur un autre pont de bois, et le train s'engagea dans la vallée de la Juniata, au pied des monts Alleghany. Van Greuben réclama des oreillers, bascula le dossier de son siège, se cala confortablement et s'endormit après avoir conseillé à Desteyrac de descendre à l'arrêt d'Altoona afin de passer les Alleghany de jour, pour jouir du spectacle de la montagne.
     
    – Vous trouverez une auberge à la station et, au matin, vous pourrez prendre un autre train pour Pittsburgh. Mais je vous préviens, l'auberge n'est pas confortable. Il se peut même que les voyageurs soient contraints de dormir à deux ou trois dans le même lit. Je vous conseille donc de passer la nuit sur un banc de la station. Vous échapperez ainsi aux puces et aux punaises ! dit Van Greuben.
     
    Cet avis suffit à décourager le Français de faire étape à Altoona pour voir le décor tant vanté de l'extrémité nord-est de la chaîne des Appalaches.
     
    Le convoi, ayant reçu le renfort de deux locomotives supplémentaires, entama l'ascension de la montagne, s'époumonant comme un asthmatique, crachant une fumée grasse et noire dont l'odeur âcre pénétrait les voitures. Au sommet, à plus de mille mètres d'altitude, il se glissa dans le tunnel le plus long du parcours, dont il sortit avec un bruyant lâcher de vapeur, soupir des chaudières surchauffées. Tandis que les premières lueurs de l'aube suintaient à travers les persiennes closes, commença la descente vers Johnstown et Pittsburgh.
     
    Éveillés, les voyageurs firent à tour de rôle une toilette sommaire dans le cabinet situé au bout de la voiture, avant de réclamer café et beignets au Noir de service, qui avait passé

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