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Le Pont de Buena Vista

Le Pont de Buena Vista

Titel: Le Pont de Buena Vista Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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multipliant les interdits, les blue laws 2 de 1650 n'avaient fait qu'accroître la concupiscence et, bien qu'elles eussent été depuis longtemps abolies et que garçons et filles jouissent d'une grande liberté, elles influençaient encore les préceptes des Églises protestantes les plus rigoristes, l'épiscopalienne notamment. Dans certaines maisons, on enjuponnait encore les pieds des pianos et des tables, considérés comme vicieuses allégories phalliques ; on appelait un coq « mari de la poule », le taureau « époux de la vache ». Les mots jambes, poitrine et fesses restaient proscrits des conversations, et il passait pour indécent de s'amuser ou de travailler le dimanche. Ainsi, les derniers tabous puritains ne faisaient qu'épaissir le mystère des rapports physiques entre homme et femme, alors que garçons et filles s'adonnaient à la flirtation la plus osée. De là une curiosité à la fois primesautière et impétueuse chez des jeunes filles au sang chaud, dépourvues de timidité et qui attendaient de l'amour autre chose que des évocations poétiques et des discours abstraits.
     
    « Ces séduisantes diablesses seraient à leur affaire chez les Taino des Arawak », se dit Desteyrac, tout au regret d'un renoncement dicté par une morale encombrante, mais dans certains cas protectrice.
     

    L'ingénieur était encore à sa toilette quand, le lendemain matin, Malcolm Murray se fit annoncer.
     
    – Mon Dieu, Charles, comme votre absence me fut pesante ! Promu chaperon d'Ottilia, que Jeffrey, formaliste en diable, refuse de laisser sortir seule avec les Sampson, j'ai dû passer des jours dans les magasins pendant que ces dames choisissaient robes, chapeaux, châles, gants et lingerie en quantité suffisante pour vêtir un orphelinat. Car la vieille Sampson est en train de s'offrir une garde-robe complète aux frais de lord Simon. J'ai découvert que ces gens n'ont pas cent dollars devant eux, mon cher ! Tel que vous me voyez, je vais accompagner ce matin le beau cadet Edwin Sampson chez Tiffany pour choisir une bague de fiançailles que paiera mon oncle. Et, attention, la mère a dit : « Pas de perles, ça ressemble aux larmes et les attire ; pas d'émeraude, perle des vierges déflorées ; pas d'aigue-marine, dont les reflets changeants sont signe d'inconstance. » Reste, bien sûr, le diamant !
     
    – Lord Simon m'avait confié qu'Edwin était le seul héritier d'une belle fortune, s'étonna Charles.
     
    – Foutaise ! Quelle fortune ? Le père Sampson, négociant en égreneuses à coton, passait le plus clair de son temps sur les showboats , entre Cincinnati et New Orleans, à jouer au poker. Couvert de dettes et menacé par des joueurs professionnels, il s'est tiré une balle dans la tête et n'a pas péri accidentellement dans l'incendie d'un bateau, comme le raconte sa veuve. Pour subsister, Anaïs Sampson tient pension de famille à Washington, dans une demeure délabrée et fortement hypothéquée. Voilà l'héritage ! Je me demande si ma cousine n'a pas perdu le sens commun.
     
    – Elle est sans doute amoureuse. Et puis, Edwin aura dans l'armée une situation convenable, suggéra Charles.
     
    – Amoureuse, Otti ? Même pas ! Elle le traite comme un valet. Militaire habitué à obéir, il accepte tout. Je ne comprends pas plus l'engouement d'Edwin pour ma cousine que le choix d'Otti.
     
    – Que dira lord Simon quand il apprendra ce que vous savez ? Je l'entends déjà rugir !
     
    – Otti m'a interdit de lui en parler et, pour faire assumer par son père tous les frais de toilette de la vieille Sampson et le coût de la bague de fiançailles, elle a inventé des complications successorales qui priveraient provisoirement les Sampson de la fortune du défunt. Vous êtes la seule personne à qui je puisse confier mon inquiétude devant une situation si trouble. Je compte naturellement sur votre discrétion, acheva Murray.
     
    – Nous sommes en plein vaudeville à l'américaine !
     
    – Plus encore que vous le pensez ! La vieille Sampson mène un combat mondain pour tenter de se recaser. Vous verrez les grâces lourdaudes qu'elle déploie pour séduire un de nos veufs et se faire épouser. Ça n'a pas marché avec mon oncle Simon, qu'indispose fort la manière dont cette femme agite sous son nez les grosses mamelles branlantes qu'elle exhibe généreusement dans ses décolletés béants. Maintenant, elle est passée à l'attaque de Jeffrey !

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