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Le Pont de Buena Vista

Le Pont de Buena Vista

Titel: Le Pont de Buena Vista Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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en tirant une orgueilleuse bouffée de sa pipe.
     
    – Certes, vous n'êtes pas le premier venu, persifla Desteyrac.
     
    – Vous n'y êtes pas ! Mon honorabilité britannique n'est pas en cause. C'est l'intérêt qui guide Jeffrey Cornfield.
     
    – Une bouche de moins à nourrir et une belle de moins à vêtir ! Le vieil avare compte donc faire des économies, avança Desteyrac, amusé.
     
    – Il compte même gagner de l'argent. Il manque aux multiples affaires de Jeffrey Cornfield une activité où réussit magnifiquement Cornelius Vanderbilt, un homme que le cousin de lord Simon déteste et dont la fortune est estimée à quinze millions de dollars. Jeffrey s'est donc mis en tête de devenir lui aussi armateur. Il veut, comme Vanderbilt, posséder une compagnie de navigation. Or, pour l'aider à organiser une telle entreprise, il faut un marin expérimenté. Ann a fait admettre que j'étais l'homme de la situation. Il y a deux jours, j'ai rencontré mon futur beau-père et tout va pour le mieux. Non seulement il m'accorde très officiellement la main de sa fille, mais il m'assure une carrière. Dès que nous aurons livré votre pont à Soledad, je quitte la flotte de Simon Cornfield pour fonder celle de son cousin.
     
    – Notre lord des Bahamas va être dépité que vous désertiez.
     
    – Peut-être. Jeffrey Cornfield compte cependant obtenir une prise de participation financière de lord Simon dans sa compagnie. Il m'a chargé de négocier l'affaire avant de revenir à New York pour me marier. Jeffrey a déjà loué des bureaux dans Pearl Street et chargé ses avocats d'établir les statuts de la société. Pendant notre voyage de noces en Angleterre – il faut tout de même que je présente Ann à mes parents ! –, je verrai un ami, architecte naval, et je reviendrai avec des projets précis, et, je l'espère, les plans de bateaux à vapeur perfectionnés avec coque de fer, type de navires que ne possède pas encore Vanderbilt. Nous ferons construire dans un chantier dont Jeffrey détient beaucoup d'actions. Et, naturellement, il m'ouvre – sous contrôle, bien sûr, car le vieux n'est pas gaspilleur – un crédit important. Voilà ce qu'il en est. N'est-ce pas une aventure exaltante, mon ami ?
     
    – Certes, et je vous souhaite pleine réussite en amour comme en affaires. Mais, bon compagnon, vous me manquerez à Soledad, avoua Desteyrac.
     
    – Attendez, quand vous en aurez terminé avec le pont du vieux lord, on trouvera ici à employer vos talents. Jeffrey a des intérêts dans plusieurs compagnies de chemins de fer. Or, les trains ont besoin de ponts pour franchir fleuves et rivières. Je suis certain, Charles, que nous nous reverrons. Et puis, j'y pense, Lyne demande souvent de vos nouvelles. Elle regrette de s'être rendue malade en se gavant de crème glacée le soir du bal, ce qui abrégea brutalement vos relations. Je suis sûr qu'elle était amoureuse de vous, et sans doute l'est-elle encore, car c'est le même tempérament que sa sœur. Pourquoi ne l'épouseriez-vous pas ? À mon avis, vous n'auriez qu'à…
     
    – … qu'à opérer comme vous, Mark ? Non, merci, je ne consomme pas de fruits verts, même sur un matelas de dollars, déclara Charles d'un ton sec.
     
    Conscient d'être percé à jour, le lieutenant Tilloy souhaita le bonsoir sans aménité, en bredouillant, et quitta le bord, sans doute pour aller rejoindre celle qui lui offrait si bien plaisir et avenir.
     
    Resté seul, Charles Desteyrac, accoudé à la lisse, rumina un moment sa déception. Ainsi Mark Tilloy, comme un simple coureur de dot, épousait une petite oie, atteinte d'un accès de sensualité, pour s'assurer une position dans les affaires à la mode américaine. Il trouva soudain au tabac un goût âcre et vida sa pipe dans l'eau noire.
     
    Le lendemain, il accompagna Bob Lowell à la gare et ce ne fut pas sans émotion que les deux hommes se séparèrent. Ils avaient, pendant des mois, travaillé ensemble et engrangé assez de souvenirs, lors de leurs escapades dans la nature ou chez les demoiselles du mont Washington, pour que cet épisode de leur vie en commun restât dans leur mémoire.
     
    – J'aimerais bien, un jour, aller voir votre pont en place entre vos îles, dit Lowell, penché à la portière du wagon.
     
    – Je suis certain que lord Simon serait heureux de vous accueillir à Soledad. Pourquoi ne viendriez-vous pas à l'inauguration du pont, dans quelques

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