Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen

Le Pont des soupirs

Titel: Le Pont des soupirs Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Zévaco
Vom Netzwerk:
moi encore, pour Foscari, pour Altieri, la lutte est facile ; nous sommes des hommes, et Roland Candiano si redoutable qu’il soit n’est qu’un homme. Mais vous, madame, vous, une femme, faible, isolée dans Venise, qui vous protégera, qui vous défendra, sinon nous, sinon moi surtout !… »
    Il étudia l’effet de ces paroles sur Imperia… A sa grande surprise, elle ne témoigna pas l’épouvante qu’il espérait.
    Imperia songeait en effet qu’elle avait un protecteur dont elle connaissait la force et l’audace. C’était Sandrigo.
    « D’où lui vient une pareille tranquillité ? » songea Bembo.
    Et changeant aussitôt ses batteries, il reprit :
    « Tout, d’ailleurs, madame, vous oblige à demeurer mon alliée fidèle.
    – J’y suis résolue, croyez-le, dit froidement Imperia.
    – Frappons le grand coup », murmura entre ses dents Bembo exaspéré.
    Il leva vers la courtisane un visage implacable, et de cette voix douceâtre qui ressemblait à un glissement de reptile :
    « Vous ignorez peut-être, madame, de quoi je suis capable si le malheur voulait que nous devenions ennemis…
    – Pourquoi deviendrions-nous ennemis ? balbutia la courtisane.
    – A Dieu ne plaise, madame ! Mais enfin si de pénibles circonstances m’obligeaient à vous considérer comme mon ennemie, j’aurais à prendre aussitôt telles mesures de défense que je crois devoir vous exposer…
    – Je vous écoute…
    – Mon premier soin serait de jeter au Tronc des Dénonciations un billet qui est tout préparé et que je porte toujours sur moi… J’en connais les termes par cœur. Je vais vous les dire. Je dois d’ailleurs vous prévenir qu’un ami sûr est chargé de déposer la même dénonciation au cas où je viendrais à disparaître plus d’un mois. Cela dit, madame, vous n’ignorez pas que les Candiano ont toujours eu des amis dans le Conseil des Dix. Vous devez vous rappeler que si le vieux Candiano fut condamné dans cette nuit dont je n’ai pas besoin de vous retracer les péripéties,
c’est qu’il fut prouvé
que Roland Candiano avait assassiné Davila, votre amant. Vous me suivez bien, n’est-ce pas ?…
    – Je vous suis, dit Imperia dont les dents s’entrechoquaient.
    – Parfait. Il ne me reste plus qu’à vous réciter le texte de ma petite dénonciation. Elle est d’ailleurs en termes mesurés, et digne d’un bon citoyen désireux d’assurer le libre cours de la justice. Le voici :
    « Le soussigné a l’honneur de prévenir le très haut et très puissant Conseil des Dix que sa vigilance et sa justice ont été trompées dans la nuit du 6 juin de l’an 1509. L’assassin du noble et regretté Davila n’était pas Roland Candiano. C’était une femme du nom d’Imperia, qui habite encore Venise, en son palais du Grand Canal. »
    Bembo garda une minute le silence.
    Le visage d’Imperia était décomposé par la terreur.
    Elle grelottait comme par un grand froid.
    « Je termine, continua Bembo. Ce billet, je le signe. Appelé devant le tribunal suprême, je maintiendrai les termes de ma dénonciation à laquelle mon caractère de prêtre, mon autorité de cardinal-évêque donneraient tout le poids nécessaire. Vous êtes, madame, beaucoup trop intelligente pour ne pas imaginer les suites fatales du procès qui vous serait fait…
    – Que voulez-vous donc ?… »
    Bembo se leva, se pencha sur Imperia :
    « Je ne veux pas que tu donnes ta fille à Sandrigo, car ta fille m’appartient !… »
    Imperia s’écroula dans son fauteuil, le visage dans les deux mains.
    Lorsqu’elle releva la tête, Bembo avait disparu.
    Le cardinal s’était éloigné silencieusement.
    « Qu’elle reste trois jours sous cette impression, gronda-t-il, que la terreur accomplisse son œuvre dissolvante dans cette âme !… Dans trois jours je reviendrai, et Bianca sera à moi ! »
    Il avait ouvert une porte, et un valet se présentait à lui pour l’escorter. Au moment où il entrait dans le vaste salon qu’il lui fallait franchir pour sortir du palais et où on faisait attendre les visiteurs, il aperçut un homme qui franchissait une des portes conduisant à l’intérieur.
    Il le reconnut aussitôt : c’était Sandrigo.
    « Mon ami, dit-il tranquillement au valet qui l’escortait, prends ces dix écus et réponds-moi. »
    Le valet saisit l’argent et s’inclina en homme tout dévoué.
    « Mon ami, reprit Bembo, l’homme qui vient de franchir cette porte,

Weitere Kostenlose Bücher