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Le Pont des soupirs

Titel: Le Pont des soupirs Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Zévaco
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respectueuses, les autres recouvrant des haines furieuses sous le vernis du respect.
    Sur la place, une femme entourée d’enfants s’avança vers lui et s’agenouilla, les mains jointes, le front courbé.
    Les enfants s’étaient agenouillés aussi.
    « Que veux-tu, femme ? demanda le cardinal.
    – Monseigneur l’évêque, mon mari, le père de mes enfants, a été arrêté cette nuit. Nous allons mourir de misère.
    – Qu’avait fait ton mari ? fit durement le cardinal.
    – Qui le sait, monseigneur ! Rien, sans doute, rien, je vous le jure ! Il ne songeait à rien qu’à son travail, et son seul bonheur était de rentrer le soir parmi nous. Monseigneur l’évêque, un mot de vous peut nous sauver. Je demande grâce. »
    Bembo, en maintes occasions, avait été supplié par quelque femme, sœur ou épouse d’un malheureux que la dénonciation d’un sbire avait fait jeter sous les plombs ou au fond des puits.
    Cette fois, comme les autres, il fut sur le point de passer outre en haussant les épaules. C’est ce qu’il faisait généralement.
    Il regarda autour de lui et vit qu’une vingtaine d’hommes et de femmes du peuple faisaient cercle autour de ce spectacle, à distance respectueuse.
    Une idée soudaine traversa son esprit.
    La femme pleurait, et, ayant conté son malheur, ne trouvait plus rien à dire que ce mot qu’elle bégayait parmi des sanglots :
    « Grâce, monseigneur l’évêque !…
    – Pauvre femme ! Pauvres enfants ! » dit Bembo à haute voix.
    Et sa physionomie prit une expression de miséricorde.
    « Me jures-tu, continua-t-il, que ton mari n’est réellement pas coupable ?
    – Je le jure, monseigneur, je le jure sur ma part de paradis !
    – Relève-toi, femme, dit Bembo, Dieu a entendu ton humble prière. Nous vivons sous un doge ami de la pitié. Le nom de Foscari veut dire Justice. Relève-toi et va en paix. Ton mari te sera rendu dès aujourd’hui.
    – Monseigneur ! Monseigneur ! balbutia la malheureuse, ivre de joie.
    – Vivat ! Vivat ! cria la foule qui s’était assemblée. Vive Foscari ! Vive l’évêque !… »
    Bembo étendit la main et bénit le peuple qui se jeta à genoux.
    « Foscari, songea-t-il, je viens de travailler pour toi !… Mais comme les peuples sont faciles à conduire ! Cent arrestations sont oubliées parce qu’une grâce est promise !… Peuple imbécile ! comme tu mérites bien les chaînes dont nous te chargeons !… »
    Un sourire de mépris plissa ses lèvres.
    Puis il reprit sa méditation :
    « Foscari est un homme faible lorsqu’il se persuade que sa chute est proche. Mais il devient fort, invincible et formidable lorsqu’il croit au succès de ses entreprises. C’est dans cette situation d’esprit qu’il osa arrêter l’évêque et qu’il fomenta la chute de Candiano. Toute la question est de maintenir Foscari en forme de volonté et de décision. »
    Il rentra dans son palais, songeant à ces choses, écrivit quelques lettres, et, sur le soir, s’étant revêtu d’un costume cavalier, sortit.
    Il voulait aller chez Imperia.
    Les images de la courtisane et de Bianca évoluaient dans son cerveau avec les images de Sandrigo et de Roland.
    Bembo évita le chemin du canal, soit qu’il ne voulût pas être remarqué, soit qu’il voulût, en marchant, se donner encore le temps de réfléchir.
    Comme il pénétrait dans une ruelle, il aperçut à vingt pas devant lui un homme qui marchait sans hâte.
    Il tressaillit.
    La tournure de cet homme, sa taille, sa manière de marcher formaient un ensemble qu’il connaissait, ou qu’il crut reconnaître.
    Il s’enveloppa de son manteau, couvrit à demi son visage et hâta le pas. En passant près de l’homme, il le dévisagea.
    « Ce n’est pas lui ! » murmura-t-il.
    Et de nouveau, il se laissa dépasser par l’homme qui semblait ne pas l’avoir remarqué. Mais alors, il fut repris de doute, et machinalement se mit à le suivre.
    « Voilà qui est étrange, songea-t-il. Cet homme, vu d’ici, c’est Roland Candiano. C’est sûrement lui ! C’est sa démarche, » c’est sa taille… C’est lui, j’en suis certain ! Et pourtant, ce n’est pas son visage !… Non, ce n’est pas son visage, mais était-ce son visage lorsque Roland Candiano m’est apparu sous les traits du secrétaire de l’Arétin ? L’ai-je reconnu lorsque j’ai été entraîné dans le navire ? L’ai-je reconnu avant la grotte ?… S’il a pris alors

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