Le Pont des soupirs
jusqu’au bout.
« Te rends-tu ? » grondèrent les policiers.
Pour toute réponse, il détendit violemment le bras. L’un des sbires recula avec un hurlement. Les trois autres se ruèrent, silencieux, formidables.
Mais à peine avaient-ils esquissé ce mouvement, à peine Roland avait-il levé le bras que des clameurs d’épouvante retentirent, une terrible bousculade renversa les sbires l’un sur l’autre, et Roland demeura le bras levé, dans une attitude de stupéfaction. Quelque chose comme une trombe venait de faire irruption dans la chambre ; une sorte de colosse hirsute dont les formes herculéennes paraissaient, dans la nuit, plus gigantesques encore, se précipita, rugissant des jurons ; son bras énorme se levait, sifflait dans l’air, pareil à une massue, et s’abattait sur les policiers. Puis le colosse, sans se donner la peine d’ouvrir la fenêtre, la défonçait, la faisait voler en éclats ; alors, il empoignait le premier sbire qui lui tombait sous la main, et, à toute volée, l’envoyait dans l’espace ; le bruit sourd du corps qui se brisait sur les dalles du quai retentit.
« Et d’un ! » hurla le colosse.
Puis d’instant en instant, il continua sa terrible besogne :
« Deux !… Trois !… Quatre !… Il n’y en a plus ?… A qui le tour ?… »
Les quatre sbires s’étaient écrasés l’un près de l’autre sur les dalles, dans une large mare de sang…
« Scalabrino ! Scalabrino ! rugit Roland.
– Moi-même, monseigneur ! Il paraît que j’arrive à temps !… Mais vite… fuyons !… »
Tous les deux s’élancèrent.
Au moment où ils atteignaient l’allée du bas et où ils allaient se jeter dehors, un tumulte de pas nombreux retentit au dehors et une voix – la voix de Bembo – clama :
« Cernez la maison ! Fouillez ! Entrez ! Tuez tout !
– Enfer ! gronda Scalabrino.
– Fonçons ! dit Roland.
– Non, monseigneur, remontons… Suivez-moi… »
Roland et Scalabrino avaient remonté l’escalier au moment même où les premiers archers pénétraient dans l’allée. En quelques instants, ils regagnèrent l’ancien logis de Juana et entassèrent devant la porte défoncée le lit, une armoire, la table, tout ce qu’ils trouvèrent de meubles.
« Nous avons trois minutes à nous, dit Roland.
– Venez, monseigneur, venez ! » répondit Scalabrino en entraînant son compagnon dans la deuxième pièce, sorte de petite cuisine, on s’en souvient.
La porte de communication fut elle-même barricadée.
Déjà on entendait des coups sourds à la première porte d’entrée.
Scalabrino s’était mis à genoux devant la cheminée.
Roland, deux pistolets aux mains, s’était planté devant la porte, sans s’occuper de ce que faisait Scalabrino, se disant que là allait se livrer la suprême bataille.
Scalabrino, cependant, de son poignard, labourait l’un des côtés de la cheminée. En quelques secondes, il eut descellé plusieurs briques.
La porte de communication commençait à céder sous les coups.
« Tenez bon, monseigneur ! » cria Scalabrino, continuant à travailler avec rage.
Une grande clameur retentit : une déchirure venait de se produire dans la porte et les assaillants criaient victoire.
Un coup de feu éclata, et l’un des sbires tomba, frappé à mort. Il y eut un recul, un silence, puis tout à coup, des cris sauvages se ruèrent ensemble.
Un deuxième coup de feu…
Un homme encore tomba.
Roland jeta son deuxième pistolet et mit le poignard à la main.
Un craquement terrible…
C’était la fin…
« Le passage ! rugit Scalabrino. Le passage est ouvert ! »
Roland se tourna vers son compagnon. Sur l’un des flancs de la cheminée, un large trou béant.
Scalabrino le lui montra, et, haletant, prononça :
« A vous, monseigneur !
– Passe ! » répondit Roland.
Scalabrino comprit que Roland ne céderait pas. Il n’y avait pas une seconde à perdre ; il s’enfonça dans le trou.
Roland le suivit.
Au même moment, la porte céda, la petite pièce fut pleine de sbires hurlant et gesticulant. Ils virent le passage. Il n’y avait place que pour un homme à la fois… L’un d’eux, brave ou plus furieux, s’y engagea… les autres demeurèrent silencieux, haletants, penchés sur le trou… Deux secondes s’écoulèrent puis ils entendirent un râle sourd…
Roland, en suivant Scalabrino, s’était trouvé dans un étroit boyau. Il rampa l’espace de
Weitere Kostenlose Bücher