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Le Pont des soupirs

Titel: Le Pont des soupirs Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Zévaco
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palais du Grand Canal ni sur la place Saint-Marc. Seule, Juana eût pu dire ce qu’elle était devenue.
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Chapitre 10 LA HAINE
    I l est temps d’éclairer cette sombre figure de Bembo, de savoir pourquoi Bembo haïssait Roland… Pourquoi il avait tissé la trame à laquelle s’était pris le jeune homme… Pourquoi cet être obscur, sans influence, de par les seules ressources de l’intrigue, avait pu, pour faire servir à sa passion des êtres forts et puissants comme Foscari et Altieri, comme Imperia, et provoqué une révolution pour assassiner un homme… Il nous suffit, pour savoir tout cela, d’écouter un instant le misérable.
    Après le départ de Silvia, Bembo était demeuré immobile, le front penché, les bras croisés, se parlant à lui-même :
    « Alors, comme ça, M. Roland est dans le fond des puits. Son imbécile de père est au diable, les yeux crevés. Qu’il tente quelque chose maintenant, celui-là ! Et sa vieille folle de mère ! L’ai-je assez écrasée, celle-là ! Ils ne bougeront plus ; les voilà bien tranquilles ; le Roland m’appartient. Et cette brute d’Altieri, qui voulait me le tuer, avec sa jalousie. Ai-je eu assez de mal à lui persuader d’obtenir sa grâce ! Sa grâce ! Je ris quand j’y songe. Monseigneur Roland Candiano, vous êtes à trente pieds sous terre, à ma discrétion. Et maintenant, nous allons nous amuser un peu et vous rendre avec usure ce que vous m’avez fait souffrir. Car j’ai souffert moi ! Que diable ! monsieur Roland ! vous aviez une façon de dire :
Ce pauvre Bembo !
qui va vous coûter cher ! Je suis laid ! Je le sais. Et je grince des dents lorsque je me compare à vous ! Et cela, vous allez le payer !… Ce pauvre Bembo ! Voyez, jeunes filles et belles dames, voyez le monstre ! Est-il assez repoussant !… Et maintenant, tournez vos sourires vers moi !… Ce pauvre Bembo ! Nous le ferons manger à notre table pour nous égayer ! Nous lui jetterons quelques écus ! Car nous sommes riche ! Nous sommes fils du doge ! Tout pour moi, rien pour Bembo ! Rien que les miettes de mon bonheur que je lui laisserai ramasser ! Et puis, après tout, quand il m’ennuiera, ce Bembo, je marcherai dessus comme sur un crapaud ! Halte-là, monseigneur Roland ! Vous allez le voir à l’œuvre, ce pauvre Bembo. Et par ma foi, l’œuvre se présente bien jusqu’ici. Quoi ! j’ai du talent, du génie, je sens dans ma tête tourbillonner les idées, je puis être un prince de la terre, grand dignitaire de l’Eglise même, je puis gouverner un peuple et je n’aurais été que ce pauvre Bembo ! Difforme, faible, impuissant, pauvre, je veux qu’on me considère beau, fort et riche ! Je veux cela, moi ! Roland Candiano a promené sa beauté, son honneur sous le même soleil qui éclairait ma honte et mon désespoir ! Et moi, dans la nuit de mon ignominie, je l’ai condamné sans rémission… A nous deux, monseigneur !… »
    Bembo eut un rire silencieux et s’enfonça dans la nuit.
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Chapitre 11 LE NUMERO 17
    I l y avait trois mois que Roland était enfermé dans le cachot n° 17. Pendant ces trois mois, sa raison demeura flottante et chaotique. En sorte qu’il ignorait où il se trouvait, et ce qui lui était arrivé. Cette folie douce ne lui laissait d’autre impression extérieure que celle du froid. Et encore cette impression s’atténua-t-elle peu à peu. Un jour, un geôlier qui le vit grelotter fut pris de compassion et lui donna une couverture.
    Un jour, au bout de trois mois, une faible lueur indécise commença à éclairer soudain les ténèbres de son cerveau. La commotion cérébrale avait été d’une violence inouïe. Mais Roland était un être admirablement doué. Ses facultés sommeillèrent, voilà tout : elles ne furent pas atrophiées.
    Ce jour-là, donc, Roland mangeait un morceau de pain, ce qui était son occupation importante. Tout à coup, il s’arrêta de manger et rejeta la bouchée qu’il avait mordue.
    « Comme ce pain est mauvais ! » murmura-t-il.
    Puis, dans le même instant, il regarda autour de lui, se releva brusquement, fit trois ou quatre pas dans son cachot et s’écria :
    « Ah çà ! que fais-je donc ici ?… Et où suis-je ?… »
    Ce ne fut qu’un éclair. Presque aussitôt, il perdit la notion de ce qui l’entourait et se remit à manger machinalement.
    Quelques jours après ce rapide accès de clairvoyance que nous venons de signaler, un matin le geôlier

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