Le Pont des soupirs
Roland s’éloigner sans le suivre.
« Il va à Venise ! fit-il en tressaillant de joie. Voyons d’abord ce que Juana peut bien faire à Mestre dans cette maison écartée. »
Pendant toute la journée, Sandrigo rôda autour de la maison. Le soir, il prit à son tour la route des lagunes et de Venise.
*
* *
Nous transporterons nos lecteurs dans le palais du grand inquisiteur Dandolo. Il était dix heures du soir, et le Grand Inquisiteur s’apprêtait à se coucher lorsqu’on vint lui dire qu’un homme demandait à lui parler pour une affaire urgente. Dandolo donna l’ordre de le faire entrer dans son cabinet.
« Qui êtes-vous ? demanda Dandolo.
L’homme jeta son poignard et son pistolet sur une table, et dit :
« Monseigneur, je suis le bandit Sandrigo, et je viens me rendre à vous… mais à certaines conditions.
– Vous parlez de conditions !… vous !…
– Qu’y a-t-il là de surprenant, monseigneur ? Je ne suis pas un captif, je suis un prisonnier volontaire. Et d’ailleurs, entendons-nous : Je me rends ! Cela veut dire que je quitte la montagne et que je veux redevenir un honnête homme. D’ailleurs, si vous me faisiez arrêter, vous ne sauriez rien de ce que je suis venu vous dire.
– Soit ! je consens à traiter avec vous. Votre arrivée spontanée dans ma maison me prouve que vous n’avez pas renoncé à tout bon sentiment. Causons donc. Voici vos armes. Reprenez-les. »
D’un geste, le Grand Inquisiteur repoussa le poignard et le pistolet que Sandrigo avait jetés sur la table.
« Maintenant, dit-il, je vois que nous sommes en effet d’homme à homme. Cette générosité vous sera comptée, monseigneur. »
Dandolo fit un geste hautain.
« Voyons les conditions, dit-il d’une voix brève.
– D’abord la vie et la liberté assurée par votre serment.
– Sur le Christ, votre vie et votre liberté seront respectées. Ensuite ?
– Ensuite ?… Ici, monseigneur, il faut que je parle. Je ne suis qu’un bandit réduit à l’impuissance. En effet, mes hommes se sont révoltés contre moi. Mais moi, Sandrigo, chef sans troupe, bandit désarmé, roi découronné, je puis rendre à la république un service que ni vous, ni le doge, ni personne dans Venise ne pourrait lui rendre en ce moment. Pour ce service immense, inappréciable, je demanderai une récompense.
– Parle ! que veux-tu !… De l’or ? »
Sandrigo secoua dédaigneusement la tête.
« Je vous ai dit que mes hommes s’étaient révoltés contre moi. Ils ont choisi un autre chef. Mais ce chef, devenu maître de ma bande, n’est lui-même qu’un comparse. Il obéit à un autre homme auquel obéissent en ce moment tous les chefs et toutes les bandes de la montagne et de la plaine. La domination effective de cet homme s’est étendue en peu de temps et il entoure Venise d’un vaste demi-cercle qui va en se rétrécissant de plus en plus. Je ne crois pas me tromper en évaluant à deux mille le nombre des bandits qui obéissent aujourd’hui à cet homme.
– Une véritable armée ? s’écria le Grand Inquisiteur.
– C’est le mot. Le grand chef – le maître, comme ils l’appellent tous, – est un véritable général d’armée qui est arrivé à discipliner ces hommes indisciplinés. Il lui a fallu trois mois pour arriver à ce résultat !…
– Trois mois !… Il dispose donc d’une arme bien terrible !…
– Oui, monseigneur : la parole ! Cet homme parle, et les plus rudes natures sont conquises.
– Son nom !… Le nom de cet homme, Sandrigo !…
– Tout à l’heure, monseigneur. Voici maintenant le plan de ce chef. Ce plan, je l’ai surpris en écoutant, en réfléchissant, en comparant… Il ne s’agit plus, monseigneur, d’une association de brigandages. Les opérations sont réglées. Le chef taxe tel prince, tel duc, à tant de milliers d’écus ; une bande marche, rapporte la somme indiquée sans une baïoque de plus ou de moins. Il y a un fond de trésor dont je n’ai pu découvrir la place… Avec cette armée, avec le navire dont il dispose, avec les sommes qui s’accumulent, que pensez-vous que cet homme veuille faire ?… »
Dandolo frémit.
« Il veut s’emparer de Venise, monseigneur ! Garde à vous ! Si vous ne prenez pas cet homme, c’est lui qui vous prendra !…
– Son nom ! son nom !…
– Patience ! D’abord le nom de l’homme qui est devenu le chef de ma bande, à moi…
– Eh
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