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Le Pont des soupirs

Titel: Le Pont des soupirs Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Zévaco
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ferez grâce !…
    – Nous allons voir ! » dit Roland d’une voix rauque.
    Les souvenirs que Bembo venait d’éveiller soulevaient en lui une furieuse colère. Il fit un effort, se domina, et se tourna vers les chefs. Et il dit :
    « Mes bons compagnons, je vous ai assemblés afin que vous soyez juges et témoins des résolutions que je vais prendre vis-à-vis de cet homme. Cet homme a lutté, poussé par la haine, pour asservir d’autres hommes. Un des vôtres, un homme d’une large bonté de cœur, un brave, redoutable à la société ennemie, pitoyable aux faibles, impitoyable aux méchants, votre compagnon Scalabrino, vint un jour à Venise. Il eut foi dans les paroles de l’être que vous voyez là ! Il a payé de six ans de torture cette faiblesse. »
    Bembo jeta un faible gémissement.
    « A cette époque, reprit Roland, je connaissais Bembo. J’étais riche et puissant. Je le voyais pauvre, déshérité. J’en fis mon ami. Je cherchai à relever dans son cœur l’espoir dans la vie et le bonheur. Il fut le compagnon de mes plaisirs et le confident de mes joies. Il vivait comme un paria. Du jour où je le connus et où j’eus pitié de lui, il vécut comme un homme. Voici comment il m’a récompensé ; par lui, mon père est devenu fou après avoir subi le supplice de l’aveuglement ; par lui, ma mère est morte de désespoir ; par lui, je suis demeuré six ans dans une tombe ; par lui, ma fiancée m’a abandonnée ; par lui, d’heureux que j’étais, je suis devenu si malheureux qu’à peine osé-je contempler face à face mon malheur. Je suis sorti de mon enfer. J’ai su par preuves certaines, le rôle de cet homme. Je l’ai saisi au moment où il allait commettre un nouveau crime, briser une nouvelle existence. Que dois-je lui faire ?…
    – Grâce ! grâce ! gémit Bembo.
    – Qu’il meure ! » dit l’un des chefs.
    Les autres approuvèrent.
    « Qu’il meure, oui ! reprit Roland. Mais qu’il meure damné comme je le suis ! qu’il meure souffrant ce que j’ai souffert, pleurant et suppliant dans le cachot même où il m’avait fait descendre ! »
    Roland fit un pas :
    « Bembo, je te fais grâce de la vie, comme autrefois on me fit grâce de la vie. Bembo, je te condamne à vivre perpétuellement dans ce cachot, comme tu me fis condamner, moi, à vivre éternellement dans les puits…
    – Mais c’est injuste ! hurla Bembo. Je ne fus pas seul !… »
    Roland devint livide.
    « Prends patience, Bembo, ajouta-t-il. Tes complices Foscari, Altieri et Dandolo auront leur tour !
    – Grâce ! se lamenta le cardinal. Grâce ! Laissez-moi espérer ! »
    Les chefs, sur un signe de Roland, étaient sortis. Lui-même jeta un dernier regard sur Bembo qui se roulait sur le sol en meurtrissant son front, puis, à son tour, il sortit et ferma la lourde porte.
    q

Chapitre 22 SANDRIGO
    R oland s’éloigna rapidement. Il entra dans une partie de la grotte qui se trouvait à l’opposé du cachot. C’était une pièce étroite dans laquelle les six chefs de bande venaient de se réunir.
    « Il faut que je retourne sur-le-champ à Venise, dit Roland. Vous viendrez m’y rejoindre, et nous causerons là-bas. Combien avons-nous de la dernière campagne ? »
    Le compte fait pour les six chefs, il y avait quarante-deux mille écus.
    « Vous m’apporterez là-bas vingt mille écus, dit Roland. Il suffira qu’ils soient à bord de la tartane… »
    Roland s’entretint un quart d’heure avec les chefs. Les paroles, les attitudes et les regards de ces hommes révélaient l’affection admirative qu’ils avaient pour celui qu’ils appelaient tous le maître. Puis il sauta à cheval et prit le chemin de Mestre, où il arriva à la nuit tombante.
    A cinq ou six cents mètres par-derrière lui, trottait un autre cavalier qui ne le perdait pas de vue. Lorsque Roland s’arrêta, cet homme s’arrêta aussi, mit pied à terre, attacha son cheval, se rapprocha de la maison où était entré Roland.
    Toute la nuit, l’homme demeura en surveillance.
    Au point du jour, il vit Roland sortir de la maison, accompagné d’une femme à laquelle il parla quelques instants puis, montant à cheval, s’éloigner dans la direction des lagunes.
    « Juana ! » murmura Sandrigo.
    Ce cavalier inconnu était en effet le bandit. A deux ou trois reprises, déjà, il avait essayé de suivre Roland à la piste, mais il avait toujours perdu ses traces.
    Cette fois, il laissa

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