Le Pont des soupirs
bien ?
– Scalabrino, monseigneur ! »
Dandolo devint très pâle.
« Et le grand chef, acheva Sandrigo, c’est Roland Candiano.
– Fatalité ! » murmura le Grand Inquisiteur.
Ainsi, Roland Candiano ne s’était pas à tout jamais éloigné de Venise, comme il l’avait espéré depuis la nuit où il avait poignardé et jeté à la mer l’agent secret qui venait lui dénoncer la retraite du fugitif ! Ainsi, ce meurtre était inutile.
« Tu viens de rendre à la république et à moi-même un grave service, lui dit Dandolo. Il te reste à exposer la récompense à laquelle tu prétends, puisque tu ne veux pas d’or !
– Monseigneur, dit Sandrigo, vous allez sans doute envoyer quelques compagnies pour vous emparer de Roland Candiano et de Scalabrino ?
– Sans doute, dit vaguement Dandolo.
– Eh bien, pour Roland Candiano, c’est inutile.
– Pourquoi ?
– Parce que Roland Candiano est à Venise : il n’y a qu’à l’arrêter.
– Où est-il ? demanda le Grand Inquisiteur avec désespoir.
– Cela, je l’ignore. Mais, ajouta Sandrigo avec un sourire, je connais assez les agents de votre police pour être sûr qu’avant trois jours cet homme sera dans vos mains. »
Dandolo respira. Il avait au moins quelques heures pour réfléchir et prendre une décision.
« Quant à ma récompense, reprit le bandit, vous allez voir qu’elle ne vous causera pas un grand dommage. Lorsque Roland Candiano sera retrouvé, je demande à diriger et à conduire les gens chargés de l’arrestation.
– C’est tout ?…
– C’est tout, monseigneur. Mais il reste Scalabrino.
– Que demandes-tu pour Scalabrino ? Voyons !
– Je demande à être placé près du bourreau et à lui servir d’aide, le jour où Scalabrino sera exécuté. J’ai à lui dire certaines choses qui n’auront toute leur valeur que sur un échafaud.
– Ce que tu demandes sera fait. Maintenant, où te retrouverai-je, si j’ai besoin de toi ?
– Monseigneur, vous n’aurez qu’à vous mettre à votre fenêtre qui donne sur le canal. Un homme, un barcarol sera là en permanence. Vous n’aurez qu’à appeler cet homme et lui dire mon nom. Un quart d’heure plus tard, je serai devant vous…
– C’est bien, tu peux t’en aller. »
Sandrigo fit un signe de tête, ramassa son pistolet et se retira, droit et ferme, sans regarder derrière lui.
q
Chapitre 23 DEUX FEMMES
A insi que Sandrigo l’avait prévu et annoncé au Grand Inquisiteur, Roland était entré à Venise, où Scalabrino l’attendait avec une impatience bien rare chez lui. Mais tel était le respect et pour ainsi dire la vénération du colosse que, lorsqu’il vit enfin son maître, il n’osa l’interroger. Roland lui donna différents ordres pour être transmis à ceux des compagnons qui étaient demeurés à Venise. Tout en parlant, il arrangeait sa tête devant un miroir. Il avait rapidement acquis une habileté extraordinaire dans l’art du déguisement. Lorsque son travail fut terminé et qu’il se retourna vers Scalabrino, celui-ci ne le reconnut pas.
« Eh bien, dit Roland, tu ne me demandes pas de nouvelles du voyage que je viens de faire ?
– Que voulez-vous dire, monseigneur ?
– Depuis une heure que je suis là, tu attends la minute où je te parlerai de Bianca. Tu aimes donc bien ta fille ! C’est à peine si tu l’as entrevue… Il est vrai qu’elle est assez belle pour qu’il soit impossible de l’oublier quand une fois on l’a vue.
– Ainsi, monseigneur, elle est maintenant en sûreté ?
– Ta fille est auprès de mon père et de Juana. Toutes les fois qu’il te plaira d’aller la voir, tu partiras… et cela jusqu’au jour où nous n’aurons plus rien à faire à Venise et où plus rien ne vous séparera… »
Scalabrino jeta un cri de joie, et Roland, lui faisant un signe amical, sortit. Une demi-heure plus tard, il se trouvait dans l’île d’Olivolo et marcha droit à la maison Dandolo.
Un vieillard s’avança à sa rencontre et salua l’élégant seigneur étranger dont Roland avait revêtu la physionomie et le costume.
Le visiteur reconnut le vieux Philippe, ce serviteur qui lui avait ouvert la porte la nuit, – la terrible nuit où il était venu.
« Vous êtes, demanda-t-il, le maître de cette maison ?…
– Non, monsieur, répondit le vieillard, je n’en suis que le gardien. Mais, s’il vous convient de vous y arrêter un moment, mon noble maître,
Weitere Kostenlose Bücher