Le porteur de mort
registres.
— Qu’allez-vous faire, Maître ?
— Oh, c’est le soir ! répondit Corbett, l’air enjoué. Je vais visiter le manoir.
Il s’y employa pendant deux heures, passant des écuries à l’office, des cuisines aux appentis, bavardant avec les serviteurs, surtout ceux qui étaient au service de Lord Scrope depuis des années. Plus il posait des questions, plus une certitude s’ancrait en lui. Quand enfin il alla se coucher, après avoir récité ses prières et posé sa dague à ses côtés, ses soupçons avaient commencé à se commuer en conviction, mais comment allait-il piéger l’assassin ?
Tôt le lendemain matin, vers l’heure de prime, Ormesby, le mire, s’emmitoufla dans sa cape et regarda la place du marché avec acrimonie. Il avait reçu un message urgent de Dame Marguerite le conviant devant le jubé de St Alphege. Il s’agissait des registres paroissiaux. Il s’arrêta au coin d’une ruelle et enfonça plus fermement son chapeau de castor sur sa tête. Il aurait voulu que le temps change. Il leva les yeux vers l’endroit, près de l’église, où les bateleurs ambulants avaient installé leur estrade. Il désirait s’entretenir avec le charlatan qui vendait potions et philtres. Il avait rencontré à maintes reprises des hommes de la même farine ; leurs prétendus remèdes pouvaient tuer ses patients ! Il observa la brume qui s’enroulait autour des pignons et des clochers de l’édifice. Pourquoi Dame Marguerite avait-elle besoin de le voir dès potron-minet ? Cependant elle avait beaucoup insisté. La missive faisait allusion aux registres et aux liens de parenté de Claypole. Il n’en était pas sûr, mais la rumeur prétendait que sa propre mère avait été la sage-femme qui avait mis Claypole au monde. Cela avait-il un rapport ? Un chat filant près de lui, un rat encore vivant se débattant dans sa gueule, le fit sursauter. Il était presque parvenu de l’autre côté de la place et écoutait d’une oreille distraite les cris des marchands quand le sinistre son de la trompe retentit tel le glas de l’ange vengeur du jour du Jugement dernier.
On aurait dit, ainsi qu’il le décrivit plus tard, que Satan en personne avait installé un étal sur la place. Toute activité cessa et on courut s’abriter dans les venelles et sous les porches. Ormesby ouït la troisième sonnerie et comprit qu’elle venait de l’église. Il dégaina son poignard, courut dans l’allée et, passant par la porte ouvrant sur le cimetière, pénétra dans l’édifice. L’air embaumait encore l’encens utilisé lors de la première messe. Le père Thomas était sans doute absent. Il respectait une stricte routine et avait dû regagner sa demeure pour déjeuner et s’occuper des affaires de la paroisse. Le médecin entendit des sanglots à briser le coeur. La nef était sombre ; çà et là, un cierge luisait parmi les ombres dansantes. Il se glissa immédiatement derrière un pilier et observa les lieux. Il aperçut les fonts baptismaux, la figure de Saint-Christophe peinte sur une colonne, la sellette dans un coin, et posa ensuite les yeux sur le jubé devant le maître-autel. La lumière des cierges y était plus vive. Il distingua le corps gisant juste à l’entrée, se précipita, puis s’immobilisa. Dame Marguerite était couchée devant le seuil du choeur, bras étendus, visage marqué par la mort, yeux vides. Un filet de sang coulait de la commissure de ses lèvres, maculant sa guimpe blanche. Une flèche était profondément fichée dans son flanc gauche. Frappée au coeur, elle avait dû périr sur le coup, pensa le médecin. Le sang bouillonnait encore autour du trait.
Maître Benedict était là, accroupi, les mains sur la bouche, les yeux écarquillés de terreur. Des fidèles commençaient à arriver à présent. Ormesby n’en tint pas compte. Il s’agenouilla et prit la main du chapelain qui, les lèvres tremblantes, était encore plus pâle qu’à l’ordinaire.
— Nous nous tenions là, haleta le prêtre.
Il laissa Ormesby l’aider à se relever.
— Nous étions là et nous devisions en vous attendant, puis j’ai entendu qu’on ouvrait la porte donnant sur le cimetière. Je me suis dit que ce pouvait être le père Thomas. Je me suis un peu avancé sans voir personne. J’ai alors entendu la trompe de chasse, trois longues sonneries. Dame Marguerite et moi n’avons pas bougé. Elle se tenait à l’entrée du jubé. Je me suis un peu
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