Le porteur de mort
et ses écuyers. Après un examen minutieux, le seigneur avait, d’un grognement, marqué son approbation.
Le père Thomas soupira. Il reposa la torche sur son support sous la plaque commémorant Gaston de Béarn, puis lut l’inscription pieuse gravée à la mémoire de ce parent de Scrope et de Dame Marguerite tué à Saint-Jean-d’Acre. Il regarda les armoiries de Gaston – un cerf à genoux aux bois couronnés – gravées au-dessus de la date du trépas du Français, Anno Domini 1291. Il récita le requiem à voix basse, retourna s’agenouiller devant la Pietà et leva les yeux sur le visage serein de la Vierge. Encore sous le coup des sanglants événements passés, il dit un Ave. Il avait espéré que, grâce à la fresque, les Frères du Libre Esprit seraient mieux acceptés. Il est vrai qu’ils professaient d’étranges idées au sujet de l’enseignement ecclésial, que leurs vues sur le mariage et l’acte d’amour étaient impudiques et lascives, mais la chair était toujours faible. Le prêtre battit sa coulpe :
— Mea culpa, mea culpa – c’est ma faute, c’est ma faute.
Ne s’était-il pas complu dans des rêveries déplacées à propos de Lady Hawisa, de son beau minois blanc, de ses seins opulents, de sa taille fine ? Et que dire de ses paroissiens, comme le maire Henry Claypole, qui s’avançaient avec tant de solennité dans l’église le dimanche et les jours de fête, la mine dévote, les mains jointes en prière ? Le père Thomas eut un petit sourire. Assis dans le confessionnal, il avait entendu toutes leurs litanies de tristes péchés, tout sur les bordels et les entremetteuses qu’ils fréquentaient quand ils se rendaient à Chelmsford, à Orwell ou même dans le quartier de Cheapside, à Londres. Leurs épouses ne valaient guère mieux, émoustillées et excitées comme chattes en chaleur par le rire d’un jouvenceau. Ah, se dit le père Thomas, c’était de là que venait tout le malheur. Des histoires de badinage entre les hommes de la ville et les femmes de la bande, et, pire encore, de l’intérêt que certains jeunes Frères du Libre Esprit avaient témoigné aux épouses et aux promises des habitants de Mistleham. Des rendez-vous amoureux dans les bois en automne... des rumeurs sur une jouvencelle du village grosse d’un enfant de l’amour... D’autres allégations avaient flotté comme de la boue troublant l’eau claire : du bétail aurait été braconné et des biens dérobés.
Un bruit près de la porte des défunts fit faire volte-face au prêtre. Saisi d’effroi, dans la faible lumière, il ne décela rien. Il n’avait pas fermé l’huis à clé au cas où les parents de Wilfred et d’Eadburga auraient voulu venir se recueillir. Se sentant coupable d’avoir abandonné les défunts, il revint près des cercueils et repoussa les draps funéraires. Il fixa les faces cireuses. L’absolution de leurs péchés avait été épinglée aux chemises de coton blanc. Il bénit les deux dépouilles et huma la fumée des cierges funèbres, mais même leur fragrance ne parvenait pas à masquer l’odeur de moisi. Le père Thomas prit une profonde inspiration. Lord Scrope, le massacre accompli et peut-être pour le gagner à sa cause, avait promis de rénover tout le bâtiment. Le prêtre en tirait quelque réconfort. Après tout, quelques dalles de pierre s’affaissaient, les murs étaient rongés de salpêtre et le bois du jubé commençait à pourrir. Ce bruit, à nouveau. Il se retourna sans hâte. Quelqu’un se dissimulait dans l’ombre de l’église. Il en était certain. Ce craquement de la porte des défunts... ce souffle d’air froid... Il se dirigea vers l’huis, la gorge serrée, s’efforçant de maîtriser sa peur.
— Plus un pas, curé, ne bougez pas.
Le père Thomas s’exécuta.
— Qui êtes-vous ? lança-t-il.
— Nightshade {8} , répondit-on.
Le prêtre tendit l’oreille. La voix était cultivée, mélodieuse et douce ; il ne la reconnaissait pas.
— Pourquoi vous faites-vous appeler ainsi au coeur de la nuit ?
Nulle repartie.
— Pourquoi entrer en tapinois dans notre église paroissiale et vous cacher dans la pénombre ? Pourquoi ne pas vous montrer dans la lumière de Dieu ? Pourquoi vous baptiser de ce nom ?
— Savez-vous ce qu’est la belladone, curé ?
— Une plante toxique, dont on tire une potion {9} aux effets mortels. Êtes-vous aussi destructeur ?
— Je représente l’autre aspect de la
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