Le porteur de mort
ennemi. »
Annales de Londres , 1304.
— Et ce matin ? questionna Corbett en tendant la main vers l’âtre et en jetant un coup d’oeil à Ranulf tout ouïe.
— Vous savez ce qui s’est passé, Sir Hugh, répondit le père Thomas avec lassitude. J’ai terminé la première messe. J’avais l’intention de retourner en ville célébrer l’office funèbre à l’intention des victimes. Mais Dame Marguerite et moi avions accepté de rendre visite à Lord Scrope après le culte.
— Quand aviez-vous pris ces dispositions ?
— Oh, cela fait deux jours environ. Vous n’ignorez pas que Lord Oliver voulait restaurer les bâtiments du couvent et l’église St Alphege. Bien entendu, les événements de ces derniers jours avaient plutôt mis ce projet à l’arrière-plan.
— Mon père, ne cachez rien, intervint l’abbesse. Pardonnez-moi, il y avait autre chose. Nous n’allions pas uniquement parler de nos églises et de nos édifices, Sir Hugh. Mon frère était très riche et Dieu sait qu’il avait beaucoup à se faire pardonner. Nous allions aussi plaider pour qu’il fasse preuve d’un peu plus de mansuétude envers son entourage.
— Y compris envers moi, remarqua Ormesby non sans cynisme.
Il se pencha en avant tout en jouant avec les bagues qui ornaient les doigts de sa main gauche.
— J’ai entendu évoquer votre réputation à Oxford, Sir Hugh. Je sais que vous travaillez à la chancellerie secrète. Vous trouverez la vérité ici. Je serai franc. Peu de gens aimaient Lord Scrope. Vous découvrirez sans doute que c’était mon cas.
— Qui vous parlé du meurtre ?
— Les nouvelles se répandent telle une traînée de poudre, rétorqua le physicien. Scrope est mort. On l’a annoncé, les valets l’ont appris aux valets, les gens se sont rués en ville. J’étais au marché et suis venu sans tarder.
— Avez-vous soigné Lady Hawisa ? demanda Ranulf. Je veux dire, par le passé ?
— En effet, mais en ce qui concerne les circonstances et la cause, c’est à elle de vous en faire part.
Ormesby hocha la tête.
— À l’instar du prêtre ici présent, j’ai mon confessionnal, sous le sceau de son propre secret.
— Ce matin, insista le magistrat en désignant Pennywort, le père Thomas et Dame Marguerite se sont rendus à la jetée.
— Je les ai vus arriver, confirma le marinier, et me suis précipité à leur rencontre. Je me souviens vous avoir conseillé, mon père, de bien vous envelopper de votre manteau parce que l’eau était glacée et que vous risquiez d’être éclaboussé par les avirons.
Le prêtre acquiesça en esquissant un petit sourire.
— Je les ai fait traverser, déclara Pennywort. J’ai rentré mes rames. J’ai attaché le cordage à un piquet, aidé le père Thomas à sortir du canot, puis nous avons tous les deux assisté Dame Marguerite. Ils ont monté l’escalier. J’ai préféré attendre au cas où Lord Scrope aurait eu une tâche à me confier. Quelques-uns de mes compagnons sont arrivés les uns après les autres...
— Nous avons frappé à l’huis, mais personne n’a répondu, continua Dame Marguerite. Nous avons tambouriné sans résultat. Dehors, Sir Hugh, vous trouverez une hache. C’est moi qui l’ai prise et l’ai donnée à Pennywort en lui ordonnant de briser les volets.
— Ce que j’ai fait, reprit ce dernier. J’ai défoncé les contrevents qui sont en bois, même si l’épar est en métal.
— Je l’avais remarqué, observa Ranulf d’un ton sec.
— J’ai soulevé la barre et suis entré non sans peine. Que Dieu ait pitié de nous, Messire, que Dieu ait pitié de nous !
Pennywort hocha la tête.
— J’ai vu bien des choses dans ma vie, Lord Corbett, oh oui, j’ai combattu dans les armées du roi, j’ai vu...
— Narrez-nous ce que vous avez constaté.
Corbett tendit la pièce d’argent. Pennywort s’en saisit, l’air réjoui. Le clerc comprit que le batelier régalerait tout Mistleham de son argent et de ses histoires avant la fin de la semaine.
— Il faisait sombre, Sir Hugh. Le feu mourait. La plupart des chandelles avaient coulé. J’ai appelé Lord Scrope, mais en vain. Puis je l’ai aperçu, assis dans sa chaire. J’ai d’abord cru qu’il me foudroyait du regard, comme il le faisait quand il était en vie. Je me suis approché. Mon Dieu, Messire, tout ce sang, noir comme une potion de sorcière, qui avait rejailli sur sa bouche et son nez ! Ces mains agrippées aux
Weitere Kostenlose Bücher