Le porteur de mort
compte de ce qu’il avait constaté en préparant la dépouille de Scrope pour l’enterrement.
— Il avait la chair labourée de meurtrissures et de cicatrices anciennes. Scrope était sans contredit un soldat ; les marques sur sa peau en témoignent. Sa main droite était ensanglantée. Le décès a bien été provoqué par un coup de dague au coeur. Je n’ai pas relevé de traces de résistance, ni blessures ni coups récents. Il est vrai...
Le mire eut un geste d’incompréhension.
— ... qu’on a décelé de la belladone dans son vin. Dieu seul sait pourquoi, étant donné qu’il n’en a pas bu une goutte. Voilà, clerc royal, tout ce que je peux vous dire, si ce n’est que les funérailles auront lieu après-demain. Il y aura un petit service à la chapelle du manoir suivi d’une procession vers St Alphege où sera dite la grand-messe de requiem. Notre bon seigneur sera inhumé quelque temps dans le cimetière, pendant qu’on érigera son tombeau dans le transept sud de St Alphege. Ce sera un beau monument avec un superbe dais.
Ormesby eut un petit sourire narquois.
— Peu nombreux seront les pèlerins qui s’y rendront ! Lady Hawisa va beaucoup mieux.
Il esquissa un salut moqueur à l’intention de Ranulf.
— Votre compagnon et camarade a été une grande source de réconfort et d’assistance pour elle.
Ranulf le dévisagea sans broncher.
— En ce qui concerne les autres, continua le mire avec allégresse, Dame Marguerite, entraînant à sa suite sa petite ombre de chapelain, s’est installée céans. Lady Hawisa est bouleversée : l’abbesse a donc pris en main la bonne marche du manoir. Maître Claypole paraît foudroyé, croulant sous le poids des affaires qu’implique sa haute charge. Frère Gratian a hâte de partir, mais insiste toujours pour distribuer les pains de Marie trois fois par semaine au portail du manoir.
Ormesby remarqua que Corbett avait l’air surpris.
— Oui, c’est l’unique tâche, imitée du Christ, de notre bon dominicain. Quoi qu’il en soit, le père Thomas s’occupe des cérémonies funèbres, l’enterrement des victimes du Sagittaire. Je suppose que ce qu’il proclame est vrai.
— C’est-à-dire ? interrogea Corbett.
— Qu’à coup sûr l’Enfer est vide puisque tous les démons sont à Mistleham. Dieu soit loué...
Ormesby se leva.
— ... le Sagittaire n’est pas revenu. Peut-être a-t-il achevé son oeuvre sanglante maintenant que Scrope est mort.
Le médecin prit congé. Corbett le remercia et il partit.
Le clerc royal resta quelques instants immobile, à fixer la porte des yeux.
— Maître ? l’interpella Ranulf.
— Le mystérieux visiteur du père Thomas, celui qui a menacé Scrope, se faisait appeler Nightshade, du nom du poison mêlé au vin de Lord Oliver. Ce même sinistre visiteur a ordonné à Scrope de se rendre à la croix du marché pour confesser ses péchés. Comme il s’y est refusé, il a été exécuté. Et voilà que frère Gratian veut partir.
Corbett baissa les yeux sur la table où se trouvaient toujours les lettres qu’il avait reçues de la chancellerie.
— À quoi pensez-vous, Maître ?
Ranulf se leva pour ajouter une bûche dans le feu.
— Mais au fait, c’est ton travail ! railla-t-il en se tournant vers Chanson qui, perché sur un tabouret dans un coin, taillait un morceau de bois.
— J’ai une autre tâche pour toi, Chanson, déclara Corbett en lui faisant signe d’approcher. Elle est très simple.
Le palefrenier s’avança.
— Maître ?
— Enfin quelque chose à faire ! murmura Ranulf.
— Moi, au moins, je n’ai pas peur de la campagne, Ranulf !
— Assez, vous deux !
Le magistrat montra la porte.
— Je veux que tu te mêles aux serviteurs, Chanson, mais sans perdre de vue frère Gratian. Chaque fois qu’il distribuera les pains de Marie, suis-le et fais mine de traîner dans le coin.
— Cela sera chose facile, commenta Ranulf.
— Non, non, écoute, reprit Corbett. Regarde-le juste répartir les pains.
— Que dois-je chercher, Maître ?
— Je l’ignore, avoua Corbett avec un grand sourire. Mais tu le sauras quand tu le verras. Tu viendras alors me le dire.
Corbett occupa le reste de la journée à passer au crible les témoignages, mais il ne découvrit rien de nouveau. Il quittait de temps en temps sa chambre pour se promener dans le manoir. Chanson bavardait avec les autres palefreniers ; Ranulf, lui, s’occupait avec
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