Le porteur de mort
beaucoup de soin d’une Lady Hawisa endeuillée. Le magistrat sourit in petto. Il savait ce que son compagnon avait en tête. Dévoré d’ambition, le clerc principal à la chancellerie de la Cire verte devait encore choisir sa voie : soit épouser une dame du rang de Lady Hawisa, ou toute autre héritière qui aurait retenu son attention, soit se destiner à l’Église, recevoir le statut d’ecclésiastique et faire son chemin dans cette carrière. D’autres clercs faisaient de même. John Drokensford, qui travaillait avec Corbett, était resté célibataire et avait accepté la clergie. Des rumeurs, à la Cour, laissaient entendre que le prochain évêché vacant lui reviendrait. Corbett décida en fin de compte de se rendre à la chapelle du manoir où, profitant du silence, il réfléchit avec calme aux difficultés qui l’attendaient. Il finit par conclure qu’il ne pouvait pas faire grand-chose, du moins pas avant que les obsèques aient été célébrées. Il retourna donc s’enfermer dans son appartement pour écrire à Maeve et à ses enfants.
Le lendemain matin, quand, maculé de neige sale et jurant contre l’état des routes, un messager royal arriva au château en fulminant, Corbett reçut d’autres sacoches de la chancellerie. La plupart des documents étaient des rapports de ses espions et de ses agents oeuvrant dans différents ports, comme la lettre du maire de Boulogne qui se plaignait des infractions des Français. Il y avait aussi une missive personnelle du roi. Il laissait libre cours à son ire devant le trépas de Scrope et à sa rage devant la perte du Sanguis Christi . Corbett se contenta de tapoter la table avec le parchemin et de le mettre de côté. La colère d’Édouard devrait attendre. Il y avait enfin un message de Drokensford expliquant qu’il avait fouillé dans les archives, mais n’avait pas trouvé grand-chose, pas plus sur la chute de Saint-Jean-d’Acre que sur le rôle qu’y avait tenu Scrope.
La veille des funérailles, Corbett convoqua Ranulf et Chanson dans sa chambre. Le clerc des écuries ne put relater que peu de nouvelles, si ce n’est que Scrope inspirait une haine féroce et que les gens espéraient à présent que Lady Hawisa serait une maîtresse plus bienveillante et plus magnanime. Ils priaient aussi pour que le Sagittaire, s’étant vengé, ne revienne plus. Ils voulaient fermer la porte du passé et reprendre le cours de leur vie ordinaire. Quant à frère Gratian, il n’avait point distribué de pains de Marie, mais paraissait disposé à le faire après l’enterrement. Corbett écouta Chanson avec attention, puis se tourna vers Ranulf et exposa ses projets concernant le tribunal d’Oyer et Terminer. Il déclara qu’il en ferait l’annonce à la fin du banquet funéraire le lendemain et demanderait à Ormesby, en tant que troisième membre de la commission, de prêter serment.
Le froid fut rude le jour des obsèques de Lord Scrope. Il n’y eut pas de chute de neige, mais un vent glacé piquait le visage des participants du convoi solennel qui descendit le chemin, traversa la place du marché de Mistleham et pénétra dans St Alphege. On avait placé le cercueil de Lord Oliver dans une charrette attelée de boeufs, recouverte d’épaisses draperies pourpre et or et entourée de servants portant des cierges funéraires à calotte pour les protéger du vent. Les harnais des boeufs reluisaient d’un brun doré. Des bannières noires claquaient près des étendards et des pennons frappés aux armes de Lord Scrope. Sur le cercueil étaient déposés le cimier, le bouclier, le ceinturon et l’épée du chevalier défunt. La fumée qui s’échappait des encensoirs balancés pendant que le père Thomas entonnait avec vigueur les psaumes des morts répandit ses doux effluves dans l’air. Le corps de Scrope avait été exposé dans la chapelle du manoir si bien que lorsque le cortège entra dans la tiédeur accueillante de la nef, les villageois s’écartèrent pour le laisser passer. La messe de requiem, célébrée par le père Thomas, assisté de frère Gratian et de Maître Benedict en tant que diacre et sous-diacre, commença tout de suite. Lady Hawisa conduisait le deuil, escortée par Dame Marguerite et Ranulf, sur le bras solide duquel elle s’appuyait en toute confiance. Ils prirent place dans le choeur, mais Corbett resta dans la nef. Quand tout le monde fut installé, il gagna le transept, le regard attiré par la fresque aux
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