Le porteur de mort
Puddlicott et sa bande ont dû passer des accords avec les orfèvres de la ville afin qu’ils acceptent cette marchandise illicite.
— Et dans les autres cités ? s’enquit Ranulf.
— Justement ! rétorqua Corbett. John Le Riche n’est pas venu ici par hasard. Réfléchis, Ranulf ! Puddlicott et ses compagnons ont, comme on peut le prévoir, visé loin et large. Ils ont dû négocier avec les vendeurs londoniens, mais aussi chercher des clients ailleurs. Pourquoi pas Mistleham, prospère centre lainier de l’Essex ? Avec un maire, Maître Claypole, qui semble se soucier fort peu du bien, du mal, sans parler de la loyauté envers la Couronne. Le Riche n’a pas été piégé, pas de la façon dont Claypole ou Lord Scrope l’ont narré. Ce couple madré avait un plan plus subtil. Ils avaient reçu les proclamations du souverain, avertissant qu’on l’avait dépossédé de son trésor et promettant les châtiments les plus sévères à quiconque accepterait des objets volés. Le Riche arrive à Mistleham et s’attend à être reçu en héros. Au lieu de cela il est arrêté. Scrope et Claypole organisent son procès, son emprisonnement et sa pendaison immédiate.
— Mais à coup sûr Le Riche aurait protesté, les aurait accusés.
— De quelle preuve disposait-il ? objecta le magistrat. Je pense qu’on lui a donné du vin drogué. Dès qu’il a été incarcéré, il n’a plus eu les idées claires. Pour autant que nous le sachions, Scrope et Claypole auraient pu lui promettre un moyen d’échapper soit à la prison soit au noeud coulant. Nous savons toi et moi, Ranulf, qu’un pacte peut être conclu avec le bourreau : on peut, par exemple, mettre un col de cuir serré autour de la gorge pour la protéger, puis, le corps redescendu, on ramène la victime à la vie.
— Mais ça ne s’est pas passé ainsi, n’est-ce pas ?
Corbett désigna l’église.
— Ah ! Le Riche devait se montrer prudent. Il ne pouvait tout simplement pas arriver à l’improviste à Mistleham, aussi s’est-il rendu dans la forêt de Mordern pour chercher refuge près des Frères du Libre Esprit. Ils étaient accueillants. Quoi que nous puissions penser d’eux, Ranulf, ils semblaient sincères dans leurs convictions et n’avoir cure de richesse, ni de trésor. Le Riche a dissimulé ses gains mal acquis chez eux et s’est rendu à Mistleham pour traiter avec Claypole.
Il eut un geste d’incertitude.
— Je suppose qu’il existait quelque accord préalable secret entre Le Riche, Claypole et Scrope, mais il n’a pas été respecté. Le Riche devait alors être aux abois : ces sept mois passés en tant que utlegatus – hors-la-loi – l’avaient épuisé. En un mot, il est tombé dans une embuscade. On lui a sans doute administré un opiat ; on l’a poussé, drogué à mort, sur l’échafaud. Peut-être lui avait-on promis la vie. Nous ne le saurons jamais. Les Frères du Libre Esprit, comprenant que Scrope avait commis une nouvelle infamie, ont dépendu la dépouille de Le Riche, l’ont rapportée à Mordern et lui ont fait ce que nous pourrions appeler des funérailles décentes ici, dans ce cimetière abandonné. Ils ont aussi gardé son butin.
— Et l’ont enseveli avec lui ?
— Ainsi que ces deux dessins. Ils ont aussi laissé des instructions secrètes sur le mur de la sacristie. Ranulf, je commence à saisir pourquoi Lord Oliver a massacré les Frères du Libre Esprit. D’abord...
Il leva la main.
— ... il y a la fresque de St Alphege. Il l’a interprétée comme un avertissement à son égard. Ensuite, en interrogeant Le Riche, Scrope a pu s’assurer que le reste du trésor était encore ici, dans le village abandonné de Mordern. Il arrive tôt en ce matin fatal ; on donne l’assaut dans la lumière grise de l’aube et le carnage a lieu. Scrope et Claypole espéraient découvrir la fortune de Le Riche, mais ce ne fut pas le cas. Ils ont agi avec circonspection. Des recherches vraiment approfondies auraient pu faire naître des soupçons. Qui plus est, si on les avait aperçus en possession de ces biens mal acquis, ils auraient dû en répondre devant le Banc du roi. Si nous n’étions pas venus, ils auraient poursuivi leur quête, mais, bien sûr, la présence des émissaires du roi à Mistleham signifiait qu’ils devaient ronger leur frein, juguler leur avidité et attendre des jours meilleurs.
— Ils savaient pourtant que nous avions trouvé la
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