Le porteur de mort
qu’ils ouvrirent et vidèrent. Ranulf laissa échapper un soupir de stupeur respectueuse devant la pile de bagues, de bracelets, de coupes, de chapelets, de pichets et de plats, scintillant butin de pierres et de métaux précieux incrustés de joyaux, qui ne cessait de grossir. Des diamants, des rubis, de la nacre, des crucifix, des sceaux, des broches, des épingles à cheveux, des colliers et des brassards remplissaient d’autres sacs. Le dernier objet était une cassette en bois renfermant deux rouleaux de parchemin. Le premier présentait un dessin fort semblable à la fresque de l’église St Alphege. Corbett l’examina puis le tendit à Ranulf.
— Regarde, quoi qu’ils aient imaginé, ils l’ont d’abord préparé. La copie est fidèle : le château abattu, l’homme étendu dans le lit, la scène du banquet, la fuite, le grand dragon qui s’élève dans le ciel, les symboles et les plantes étranges.
Le second document, à l’encre rouge et bleue, était plus long. C’était une frappante représentation de l’Enfer conçu sous forme de grands cercles concentriques. De curieux symboles géométriques, semblables à ceux qui entouraient la fresque de St Alphege, séparaient les cercles les uns des autres. Dans le premier, précisait la légende gribouillée au-dessous, se trouvaient les blasphémateurs, que des démons cornus armés de fléaux et de redoutables fouets ne cessaient de faire sauter et bondir. Dans le suivant, ensorceleurs et sorcières, qui, par magie, avaient distordu la nature, étaient maintenant tordus à leur tour, la tête tournée dans le dos, si bien que les larmes roulaient sur leur croupe. De terrifiants reptiles ceignaient le troisième, cherchant parmi les voleurs et les larrons ceux qui, pour s’être emparés de richesses ne leur appartenant pas, étaient privés de leur âme suivant deux méthodes : ou ils étaient réduits en cendres par la piqûre d’un scorpion, puis ressuscités afin que la torture se renouvelle, ou ils étaient transformés en cire, fondus les uns dans les autres de telle sorte qu’ils ne pouvaient plus savoir qui ils étaient, de même que, pendant leur vie terrestre, ils avaient été incapables de distinguer leurs biens de ceux d’autrui. D’autres cercles étaient pourvus d’explications. Tous grouillaient de pécheurs, mais le coeur de l’Enfer était réservé à Lord Oliver Scrope qui, solidement attaché, était consumé par le feu divin éternel.
— Qu’est-ce que ça signifie ? s’étonna Ranulf.
Corbett s’appuya contre la pierre tombale et contempla l’église en ruine.
— Ranulf, déclara-t-il en regardant par-dessus son épaule, ces dessins étaient une mise en garde à Lord Scrope. Les Frères du Libre Esprit avaient deux intentions : l’une, de peindre la chute de Babylone, qui, en réalité, est une parabole de celle d’Acre, l’autre, de peindre une vision de l’Enfer où Scrope, le plus grand des pécheurs, se trouve au centre. Ils ont, semble-t-il, choisi la chute de Babylone, une question importante que nous avons effleurée, mais point développée. Les Frères du Libre Esprit sont en fait venus ici pour se venger de Lord Scrope. Sans nul doute, ils le haïssaient – du moins certains d’entre eux. Ils avaient un compte à régler. D’où ces représentations et leurs armes. Peut-être avaient-ils décidé de s’emparer du manoir de Mistleham.
— Mais pourquoi ? Quelle relation avaient-ils avec Lord Oliver ?
— C’est le noeud de l’affaire, reconnut le magistrat. Je l’ignore encore, mais il existait un rapport ; un lien secret et durable, un lien de sang infesté de ressentiments et de griefs.
— S’il en était ainsi, argumenta Ranulf en s’approchant de son maître, leur mort aurait dû mettre un terme à cette histoire.
— D’où deux conclusions possibles, répondit Corbett. La première : ils n’ont pas tous péris dans le massacre ; la seconde : y a-t-il quelqu’un d’autre, associé aux Frères du Libre Esprit, qui se vengerait en leur nom ? Je ne sais pas, Ranulf.
— Et le trésor ?
— Ah !
Corbett eut un petit sourire entendu.
— Maître Claypole a bien des comptes à rendre. Voici ce que je soupçonne. Le trésor du roi dans la crypte de Westminster a été pillé et son contenu dispersé. Drokensford m’a appris que maints orfèvres de Londres ont été impliqués dans le recel et la mise en vente de ces objets volés. Or, pour cela,
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