Le poursuivant d'amour
temps !… Qu’a-t-il besoin de cette huque 216 fourrée d’armeline ? Nous ne sommes pas en hiver… Il doit y avoir un poignard là-dedans ! »
– Laissez ce vêtement ici, messire… et dites-vous que nous ne vous quitterons pas des yeux !
Avec une promptitude surprenante, une fois sa colère consumée, Édouard de Woodstock parut se résigner à son sort :
– Baron de je ne sais quoi, rien ne vous échappe… Mais vous dissipez votre temps !… Bientôt vous répandrez tout le sang de vos veines…
– Il se peut, je me suis préparé à cela… Croyez bien que j’ai regret de ne pouvoir vous désobliger 217 ! Je ne suis pas venu à Cobham de mon bon gré, mais j’accomplirai au mieux ce dont je suis chargé.
Le prince sourcilla et battit des paupières :
– Jean ou Charles ? Le vieux ou le jeune ? Qui vous a commandé cette action funeste ? Ils sont dans de beaux draps !… Ils vous y mettent aussi !
Tristan se détourna vers le lit. Les beaux draps, ce félonneux n’en manquait pas. En attendant son retour la belle Jeanne s’y chaufferait seule, et si quelque chanceux lui tenait compagnie, eh bien, tant mieux pour elle ! Songeuse, elle levait sur le Français téméraire des yeux gorge-de-pigeon dont il était pantois de mesurer la soudaine beauté. Et ces épaules exquises, ces seins, plus clairs maintenant et qu’elle ne dérobait pas. Il y avait pour lui dans cette nudité de la langueur et de l’impertinente. Il concevait qu’Édouard III pût haïr sa bru, lui qui, maintenant, partageait les gloires et les soucis du trône avec une grosse épouse aussi féconde qu’une rate 218 . |
– Vous avez presque commis un péché de luxure en pénétrant dans cette chambre, continuait Édouard de Woodstock. Cependant, plutôt que de la déplorer, j’aime votre hardiesse, baron, et celle de vos hommes. Que faites-vous à servir deux vaincus, l’un vieux et hodé 219 corps et âme, l’autre si malade qu’on se demande s’il pourra supporter la couronne qui doit un jour ceindre sa tête !
« Il gagne encore du temps !… Il est prêt à partir et se retourne… »
– Dites-moi votre nom si ce n’est trop vous demander.
– Tristan de Castelreng. Pourquoi vous le cacherais-je ?… Si je meurs dans l’accomplissement de mon devoir, un Anglais au moins – et l’un des plus grands – saura ce qu’un Français fut capable de faire !
Quel remède roboratif employait-il là pour conjurer son trouble et les affres du retour ! Tandis qu’il effleurait et pinçotait l’épaule de son épouse, Édouard de Woodstock énonça benoîtement une proposition à laquelle, à vrai dire, Tristan s’attendait :
– Moult Franklins, messire de Castelreng, sont du côté de l’Angleterre… La lutte pour la vie – struggle or life – exige ces ralliements. Si vous craignez que cette lutte ne vous soit fatale avant l’aube… et même après, eh bien, je vous offre mon amitié… J’oublie tout, même les crimes que vous avez sûrement commis sur ma domesticité et celle de Cobham et vous donne à vous une place de choix dans la centurie qui m’entoure à la guerre…
– Par la très sainte Anne d’Auray ! s’exclama Callœt, vous connaissez les bonnes manières, vous, et les points faibles de l’espèce humaine… Nul homme de bon sens n’a jamais refusé l’amitié d’un prince, surtout si elle s’accompagne d’une grosse donation…
Tristan allait se détourner pour gourmander ce traitre, mais le Breton continuait sans le moindre émoi, maintenant :
– Seulement voilà, nous n’avons aucun bon sens.
Et à Jeanne de Kent, livide :
– Votre mari, beauté, voudrait nous corrompre. Or, notre richesse, c’est notre droiture… Nous savons ce qu’il vaut. Mais vous, le savez-vous ?
Le Breton désignait, d’un doigt aussi net et acéré que son épée, cet homme vaniteux aux moustaches celtiques. Pareille à ce rustique franc jusqu’à l’irrespect, Jeanne de Kent dévisageait son époux, essayant de lire dans cette face de cire au sourire désincarné, dans ces yeux rapetissés par une humiliation dont il s’évertuait à contenir les ravages. Tristan lui-même dut renoncer à déchiffrer ce masque de gisant.
Le prince tapota sa hanche senestre comme s’il pensait y trouver le fourreau de son épée :
– Vous ne m’occirez pas !… Une longue vie m’attend et mes astronomiens en ont la certitude. La France sera ma vassale ;
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