Le poursuivant d'amour
l’huis d’un coup de pied en maintenant toujours la jouvencelle contre lui.
– Par saint George ! maugréa le prince.
Et découvrant enfin le gêneur dont la tête dépassait de celle de sa domestique :
– Oh ! Oh !… Qui êtes-vous ?… Allez-vous donc parler.
Le silence se prolongea. Édouard de Woodstock, quoique inquiet, parut secoué par une flambée d’orgueil et de gaieté forcenée :
– Me faut-il vous fournir une épée pour m’occire… si c’est bien votre intention.
Ce fut à Tristan de sourire avec une sorte d’indulgence qui pouvait passer pour de l’irrespect.
– Ne craignez point la male mort, monseigneur. Notre incursion à Cobham, pour ce qui vous concerne, est dépourvue de méchanceté.
– Franklin, pas vrai ?
– Oui, monseigneur, français.
– Vous ne m’effrayez point, même en l’état de nudité où je me trouve.
Le prince n’était vêtu que de ses braies dont le mollequin safrané révélait encore, sans que peut-être il y prit garde – à moins qu’il ne s’en moquât –, quels jeux avaient animé sa veillée. Les bras croisés, l’attitude souveraine, il s’enquit, sans bouger d’un pouce :
– Qui vous a dit que j’étais en ce lieu ?
– Je n’ai pas à vous répondre.
– Jean ? Charles ? Qui les a instruits de mon séjour ici ?
Tristan ne lâchait point Luciane. Il y prenait plaisir. En la serrant ainsi, il ne la maîtrisait plus mais la protégeait d’une colère dont elle redoutait peut-être les excès. Les regards d’Édouard de Woodstock passaient au travers d’elle.
– Allons, dites m’en davantage ! Qui m’a trahi ? Évidemment quelqu’un de ma suite.
Luciane frémissait. Elle devait détester cet homme, ses façons, sa voix rigoureuse. Quoi de plus simple, en vérité, que d’apeurer les gens lorsqu’on était, par la grâce de Dieu, le second grand homme d’Angleterre.
– Je ne sais qui vous a trahi, monseigneur, mais le saurais-je que je ne trahirais pas à mon tour… Je n’ai point à méditer, j’exécute… Je vous prie d’obéir de bon gré à mes instructions, car s’il vous plaît à vous de meurtrir et d’arser 212 qui vous gêne ou vous résiste, comme vous le fîtes à Limoges naguère, je répugne à employer, dans votre cas, ce qu’on appelle la manière forte… Habillez-vous promptement et suivez-nous.
Le prince recula encore, se sachant dépourvu, du fait de sa quasi-nudité, de presque toutes ses capacités offensives. Tristan s’était attendu à une rébellion, des cris, une ou deux questions nouvelles. Il s’était mépris sur cet homme. Immobile devant lui, le prince se prêtait, semblait-il, à l’examen auquel il se livrait et qui lui permettait à lui, Woodstock, de digérer sa honte.
– Je conçois votre émoi, monseigneur. Le mien est d’une autre espèce.
– Je vous hais, vous et vos malandrins !
Il avait trente ans 213 mais en paraissait davantage. La guerre et les excès de toutes sortes avaient marqué ce visage sanguin tiqueté de roux, au nez droit mais épais, au front bref exhaussé de cheveux embuissonnés. Ses joues plates, où repoussait une barbe drue, d’une blondeur de soie de porc, étaient parcourues de tressaillements qui en aggravaient les rides. La conjonction de l’ahurissement et de la crainte – voire de la peur – poursuivait en lui ses ravages, et ses paupières n’eussent pas cillé davantage, sans doute, s’il avait été contraint d’observer longtemps le soleil. Sa bouche se contractait sous l’arc de la moustache pendante et s’il venait d’y passer sa langue, c’était plus parce que l’émoi altérait sa hautaineté que pour y recouvrer des saveurs ineffables. Ce qui incitait Tristan à la prudence, c’était, sous les sourcils droits et peut-être épilés, la fixité des prunelles grises embusquées au tréfonds de leurs sombres arcades.
– Alors, me trouvez-vous un visage avenant ? Barbare ?… Êtes-vous bien certain de ne pas vous méprendre ?
– Non, messire. À Poitiers je vous ai aperçu. Mais je ne suis pas là pour ranimer des cendres. Habillez-vous en hâte et suivez-nous.
– Et si je n’en ai pas envie ?
« Il va paroler pour gagner du temps ! »
Tristan lâcha Luciane :
– Je te la confie, Paindorge… Et vous, mes gars restez où vous êtes. Une dame est présente… N’y touchez pas, même des yeux : sa beauté pourrait vous séduire et vous écarter de votre devoir.
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