Le poursuivant d'amour
avec, semblait-il, une espèce de haine : il était furieux qu’elle le vît en vaincu.
– Messire, chuchota Paindorge à l’oreille de Tristan, j’ai laissé partir Luciane. Nous devrions verrouiller la Jeanne.
– À quoi bon… Mais fais-le si tu préfères.
Paindorge s’éloigna. S’approchant d’une fenêtre,
Tristan vit le pont s’abaisser. « Bon sang, j’allais laisser passer cette occasion ! » Et à Triphon :
– Cours à l’écurie. Détache les chevaux… Amène-les !
Il n’osait regarder ni la femme ni l’homme aux mains liées par-devant.
– Malandrin ! grommela Jeanne de Kent. Le ciel te punira !
– Soit, Votre Grâce, dit Tristan avec une déférence sincère, j’accepte ce mot-là.
Pourquoi se fut-il courroucé ? En égard aux circonstances et aux façons des hommes dont il était entouré, il méritait cette appellation. Il tenta cependant de s’en défendre et, les yeux dans le regard éploré de la dame :
– On me commande, j’obéis… Mais au royaume des malandrins, dame, votre époux règne en maître… suivez-le donc un jour sur un champ de bataille, au siège d’une cité, dans la traverse d’un hameau… Vous lui décernerez la palme la plus noire !
– Holà ! s’exclama Édouard de Woodstock. Fait-on la guerre avec d’excellents sentiments ?
Jeanne essaya de gagner du temps :
– J’ai particulièrement connu, messire, trois chevaliers aux Lis…
« Encore heureux qu’elle n’ait pas dit au lit ! »
– C’étaient des preux valeureux et courtois !
– Évidemment, puisqu’ils étaient de France !
Tristan, d’un coup, avait découvert la réplique. Il ne se sentit pas plus fier d’être ce qu’il était.
Triphon revint. Le soudoyer à face de singe semblait se ressaisir d’une commotion qui, visiblement, n’avait pas mis sa vie en danger.
– Quatre chevaux, dit-il, et une jument… Enfin, messire : il y avait une jument.
– Il y avait ?
Triphon baissa la tête.
– On l’a éventrée… Je l’ai achevée.
Il y eut un froissement de linges, puis un cri :
– Malandrins !… Malandrins ! C’était ma jument !
– Décernez-leur, ma dame, la palme la plus noire, intervint Édouard de Woodstock, placide.
Tristan ne s’avisa même pas du fauteur de haine :
– C’est toi, Callœt !… Pas vrai ?
– Oui… C’était une jument d’Angleterre… Peu de chose.
Tristan sentit son cœur s’empoisser de dégoût :
– Dieu te châtiera !… Cette jument nous eût été utile… Nous sommes douze. Quatre chevaux, c’est insuffisant. Allons à pied.
Il poussa son prisonnier hors de la pièce. Sitôt dans la cour, à quelques pas du seuil, il regarda promptement en arrière.
Une lumière brillait au-dessus de la chambre où il avait abrégé les amours du prince et de son épouse.
« Est-ce là son logis ? »
Il devait abandonner la jouvencelle. Comment faire autrement alors qu’il était déjà fort embarrassé de sa prise… Et puis, Luciane n’eût jamais été en sûreté parmi ses hommes. Brève mais véhémente, une sorte d’amitié s’était échangée entre elle et lui. Il la vit rejeter sa lourde chevelure pareille à la crinière d’un fauve. Son visage demeurait dans sa mémoire et s’y substituait à celui d’Oriabel.
– C’est fait, dit Paindorge qui arrivait en courant, l’ai verrouillé la dame.
– Moi, je l’aurais forcée !
Ce n’était pas l’opinion de Callœt, mais celle de Pagès, approuvé par Sampanier et Morsang.
– Taisez-vous, mes gars !… Allons, monseigneur, un peu de bonne volonté !
Édouard de Woodstock allongea le pas. Tristan vit son sourire et en fut contrarié.
– Vous allez tous devoir rebrousser chemin ! Aucun de vous ne reverra le royaume de France… Aucun !… Je ferai élever un bûcher. Mort ou vifs, vous monterez dessus !
Faites-le taire, messire, murmura Callœt. Qu’il se taise ou je le perce !
Et joyeux comme un enfant à la suite d’une bonne action :
– Or, voyez, nul n’est passé sur le pont-levis après que je l’avais baissé.
Les lourdes lattes tonnèrent sous les pas ; puis celles le la passerelle. Il y eut un bruit différent : le floc l’une carpe ou d’une tanche. Le silence revint, hostile. Un mur impondérable, tout aussi solide, apparemment, que celui des ténèbres, entoura les hommes ; la voix tremblante de Raffestin le lézarda :
– Par où ?… Par où,
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