Le poursuivant d'amour
bourreaux de Lyon en avait profité sans doute. Consterné, pénétré d’un malencontreux sentiment de gêne, il recula d’un pas pour éviter le gantelet à nouveau offert.
– Si je m’attendais !… Te voilà devenu l’époux de mon amie !… Tu fis merveille dans ce grand champ de Maupertuis !
Tristan fut insensible au compliment. Il n’avait rien commis, dans la cohue de Poitiers, qui méritât cette admiration mensongère. Il s’était battu près du roi, parfois au coude à coude ; la chance avait voulu qu’il ne fût pas occis. Cervole, lui, avait fui. En direction des Anglais.
– Messire… Est-il besoin de ranimer ces choses ? Vous m’avez fort desrisé 96 avant que le sang ne coule. Je me suis gardé de la moindre hautaineté en propos et en gestes, bien que tous vos gabois 97 m’aient corrompu les nerfs. Au contraire de vous, je n’ai rien coûté au trésor royal…
– Ne vous courroucez pas, chevalier !
Le poing-massue s’était levé ; il scintillait. Le tu devenait vous. La confusion et vitupère (441) en étaient cause.
– Je suis on ne peut plus serein, messire. Ce n’est pas moi qui viens d’exhumer le passé… J’aimerais que vous vous taisiez sur ces batailles dont je ne sais, d’ailleurs, laquelle fut la plus laide. Dans chacune d’icelles il y eut trahison… Si je n’en eus point la preuve à Poitiers, à Brignais, elle me fut offerte.
L’Archiprêtre devina aussitôt qu’il savait. Il sourit d’un sourire qui n’était, après tout, qu’une lippe de condescendance. Il était fort. Il avait le roi pour lui. Tristan se reprocha d’avoir allumé un brasier qu’il devait immédiatement éteindre :
– Votre ami Panazol, dit-il avec une hâte dont il fut lui-même contrarié, votre lieutenant Panazol a dû vous conter tout ce qui me concerne dans cette affaire de Brignais.
– Il est vrai, dit Cervole en marchant vers le donjon avec l’aisance du propriétaire. Je parlerai de vous au roi Jean.
– Je le connais assez, messire, pour me priver votre entremise.
Tristan avait recouvré son assurance et sa simplicité. D’ailleurs, pour le moment, il devait accepter la prééminence de l’Archiprêtre sans bassesse et même avec un soupçon de gaieté : il lui était une gêne autant que ce linfar 98 l’était pour lui. Cette certitude lui convenait d’autant mieux qu’elle troublait Mathilde. Elle avait dû penser qu’il aurait l’air contrit, inquiet, et se sentirai désavantagé par cette présence fière ; il commençait – malaisément, certes – à s’imposer. Lorsqu’il les avait observés du faîte du donjon, ils lui avaient semblé petits, vulnérables. Vanité que ce sentiment de dominer tout au moins par l’esprit ? Sans doute, mais présentement, à défaut d’épée, cet orgueil convenait.
– Il est vrai que vous connaissez le roi Jean. On m’a dit que Salbris était envieux de l’intérêt qu’il vous portait. Est-ce la vérité, Castelreng ?
Était-ce une allusion à la prétendue sodomie du roi et à celle, avérée, de feu Guillonnet ? La voix de l’archiprêtre avait pris une sorte d’aigreur, le ton de l’homme dégoûté de tout. Il supportait mal la présence d’un chevalier dont il connaissait les mérites, bien qu’il fût jeune et asservi à une femme que sans doute il connaissait trop.
– Jacques de Bourbon aurait dû attendre une semaine…, un mois même, pour assaillir les routiers de Brignais. Audrehem et ses hommes auraient sans doute fini par quitter Sauges 99 pour les rejoindre… Le comte de Tancarville aurait vu grossir son armée… Ils n’ont pas compris que, pour dominer de tels hommes, il fallait adopter leurs astuces… N’est-ce pas, Castelreng ?
– Il est vrai, messire, que les usages de la chevalerie n’ont plus cours. Les gens du roi n’ont pris aucune précaution pour éviter une attaque de nuit… Et surtout, ils ne se sont pas méfiés des traîtres.
– Croyez-vous qu’il y en eut tant ?
– Il suffit parfois d’un seul pour qu’une grande armée soit vaincue. N’est-ce pas votre opinion, messire ?
Tristan s’exprimait sans la moindre rigueur. Quelques semaines plus tôt, vivant la même scène, il se fut emporté, se grisant de mots acérés, sans souci d’infliger de profondes blessures. Présentement, il se sentait robuste, serein, et si la main de Mathilde, appuyée sur son poignet comme celle d’une épouse parfaite, l’eût agacé en toute
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