Le Pré-aux-Clercs
cela, fit-elle, on peut vivre très vieux tout en se mourant d’ennui. Tandis qu’un coup de poignard vous expédie un homme en quelques minutes. »
Et comme elle le sentait ébranlé, elle revint à la charge, insista avec plus de force, multiplia les arguments qu’elle croyait de nature à l’impressionner, à l’amener à céder. Un instant, elle put croire qu’elle avait réussi. Mais à ce moment la portière se souleva et Beaurevers entra sans avoir été annoncé. François l’aperçut et comprenant que c’était du renfort qui lui arrivait, il s’écria vivement :
« Vous arrivez à propos, chevalier. Voici madame ma mère qui me sermonne et me veut à toute force cloîtrer dans l’enceinte du Louvre. J’ai beau dire que j’y mourrai d’ennui, elle ne veut pas en démordre. Voyons, que dites-vous de cela, vous ?
– Je dis, Sire, répondit Beaurevers, d’un air paisible, que je ne vois pas pourquoi vous vous priveriez d’un passe-temps qui vous est agréable et ne fait de mal à personne.
– Voilà qui est bien dit ! » s’écria François.
Et, tout joyeux, il sauta sur son manteau dans lequel il commença à s’envelopper.
« Un instant, mon fils », intervint Catherine, qui ne s’avouait pas battue.
Et sans tenir compte du mouvement d’humeur du roi, elle se tourna vers Beaurevers et, hautaine, raide, glaciale :
« Je pensais trouver un auxiliaire en vous, monsieur. Tout au contraire, je m’aperçois que vous êtes contre moi. Quand je fais entendre la voix de la raison, vous n’hésitez pas à conseiller les pires folies. J’ai sujet de m’étonner, attendu qu’il me semble que vous devez savoir mieux que quiconque à quoi vous exposez votre roi. »
Aussi froidement qu’elle, Beaurevers répliqua :
« Je ne conseille pas le roi, madame. Je me contente d’exécuter ses ordres. Or, le roi, qui est le maître, m’a ordonné de le venir prendre ici. C’est ce que je fais. Quant au reste, je ne puis que répéter ce que j’ai eu déjà l’honneur de dire à Votre Majesté : tant que je serai vivant, il ne tombera pas un cheveu de la tête du roi.
– C’est une responsabilité terrible que vous assumez là, monsieur.
– Je le sais, madame. Mais je me sens de taille à la supporter sans faiblir. »
François intervint alors et sans cacher son impatience :
« La sollicitude maternelle que vous me témoignez m’est infiniment précieuse, madame. Pourtant il ne faut rien exagérer. M. de Beaurevers répond de moi. Vous savez qu’il ne promet rien qu’il ne se sente la force de tenir. Ceci doit vous rassurer, je pense.
– Oui, mais s’il vient à disparaître ?… Car ne vous y trompez pas, François, on saura, on sait déjà peut-être, que c’est lui qui veille sur vous. On supprimera le défenseur gênant pour vous atteindre plus sûrement. Ceci est élémentaire, voyons. »
François jeta les yeux sur Beaurevers. Il le vit étincelant, les narines frémissantes, semblant appeler la bataille.
« Il sera temps d’aviser quand nous en serons-là », dit-il tranquillement.
Et avec un orgueil naïf :
« Regardez mon chevalier, madame, et voyez si c’est là un homme dont on viendra facilement à bout. »
Catherine ne répondit pas. Elle tenta une diversion :
« Quel malheur, dit-elle avec une profonde amertume, de laisser ainsi à l’abandon les affaires du plus beau royaume de la chrétienté !
– Eh ! madame, les affaires du royaume ne sont pas à l’abandon, puisqu’elles sont entre les mains de mes oncles de Guise qui sont d’habiles hommes.
– Fort habiles, en effet, prononça Catherine avec une lenteur calculée et en fixant François avec une insistance significative. Trop habiles… Ils s’occupent de vos affaires, François… ils ne négligent pas les leurs pour cela.
– Eh bien, mais… c’est assez naturel, il me semble. »
Il était impossible de mettre plus de naturel qu’il n’en mit dans ces mots. Catherine, qui l’observait avec une attention soutenue, se dit en elle-même :
« Serait-il naïf à ce point ?… Pourquoi pas, après tout ? Il est si jeune… il est si sottement épris de sa femme… Et Marie Stuart est une fine mouche, dûment stylée par ses oncles les Guises, tout acquise aux intérêts de la maison de Lorraine. »
Et, tout haut, avec la même lenteur :
« En tout il faut une juste mesure. Croyez-en votre mère, François : ne laissez pas plus longtemps le
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