Le Pré-aux-Clercs
présentait Rospignac, sans rien marquer des sentiments que cette lecture pouvait soulever en lui.
« J’attends vos ordres, monsieur », dit-il d’un ton froid, mais sans la moindre hésitation.
Aussi froid, Rospignac formula :
« En échange de cet ordre que je vais vous laisser, veuillez, monsieur le grand prévôt, m’en donner deux pareils, l’un pour le sire de Bragelonne, votre lieutenant criminel, l’autre pour M. de Gabaston, chevalier du guet.
– Bien, monsieur », répondit laconiquement Nantouillet.
Il écrivit les deux ordres qu’on lui demandait, signa et scella de son sceau et les tendant à Rospignac :
« Est-ce tout ?
– En ce qui vous concerne, oui, monsieur. J’ajoute que je me ferai un devoir et un plaisir de signaler la bonne volonté que vous avez bien voulu montrer en cette grave circonstance. »
Avec cette froideur un peu rude qui paraissait lui être particulière, Nantouillet répliqua :
« L’ordre était formel, monsieur, mon devoir était d’obéir sans discuter. Néanmoins, je vous rends mille grâces de votre courtoisie. »
Rospignac partit, reconduit jusqu’à la grande porte par le prévôt en personne. Il se rendit au Châtelet. Il y demeura plus longtemps qu’à l’hôtel de la prévôté. Ici il avait des instructions à donner au lieutenant criminel et cela prit un peu plus de temps.
Il ne quitta le sire de Bragelonne que lorsqu’il fut bien assuré que ses mystérieuses instructions avaient été bien comprises et seraient strictement exécutées.
De chez le lieutenant criminel, il alla chez le chevalier du guet, le sieur de Gabaston. Et enfin, il termina la série de ses démarches par un entretien assez long qu’il eut avec le gouverneur, prince de La Roche-sur-Yon.
« Ouf, dit-il tout joyeux en se dirigeant vers son logis, je puis dire que voilà une journée bien remplie !… Et je n’ai pas fini : le filet est tendu, il s’agit maintenant d’y amener le poisson. Ceci sera la besogne du maître Guillaume Pentecôte. En attendant, je suis fourbu, je meurs de faim, j’étrangle de soif… Mais bah ! on n’a rien sans peine. »
Ses premières paroles, en rentrant chez lui, furent :
« Pentecôte, vois donc par là dans le garde-manger s’il ne se trouve pas quelque pâté, quelque volaille froide oubliés, avec quelque bouteille de vin. »
Le couvert se trouva mis avec une célérité qui témoignait de la crainte que le baron inspirait au truand. Mais tout en s’activant Guillaume Pentecôte faisait marcher sa langue :
« Je vous attendais avec impatience, monsieur le baron, je vous ai couru après toute la matinée sans pouvoir vous mettre la main dessus.
– Pourquoi me cherchais-tu ? s’informa Rospignac en s’allongeant voluptueusement dans son fauteuil.
– Pour vous dire que vous étiez suivi par Beaurevers.
– Tu sais que je l’ai rencontré, Beaurevers, grinça Rospignac.
– Oui, monsieur, j’étais dans la foule. Et, comme je vous l’avais prédit, il vous a fort mal accommodé.
– Sois tranquille, Pentecôte, il payera cela… avec de solides intérêts, je t’en réponds. Mais tu me disais que Beaurevers m’avait suivi, qui te fait supposer cela ?
– Ce n’est pas une supposition, monsieur, c’est une certitude. J’ai entendu de mes propres oreilles Beaurevers déclarer qu’il vous suivait depuis le matin et qu’il allait se remettre à vos trousses. »
Et Guillaume Pentecôte qui, paraît-il, était doué d’une excellente mémoire, répéta presque mot à mot les paroles que Beaurevers avait dites à Fiorinda en la quittant sur la place Saint-Gervais.
« Monsieur le baron n’est pas inquiet de savoir que Beaurevers l’a suivi ?
– Non, Pentecôte, non, maintenant cela m’est tout à fait égal. Tu ne comprends pas, hein ?… Sois tranquille, je t’expliquerai… d’autant que j’ai besoin de toi. Pour commencer, tu vas filer. Tu te rendras à l’hôtel Cluny… Tu connais le capitaine Malicorne, je présume ?
– Parbleu !
– Tu vas donc te rendre à l’hôtel Cluny, tu surveilleras Malicorne… et tu viendras me dire ce qui s’est passé… s’il se passe quelque chose. Allons, décampe et vivement… Tiens, prends ces pièces d’or… »
XVI – PASSION NAISSANTE
Beaurevers, suivi de Trinquemaille, de Bouracan, de Corpodibale et de Strapafar, entra dans la salle de l’auberge du Pré et se dirigea vers le coin qu’il affectionnait.
Il
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