Le Pré-aux-Clercs
cela se conçoit, à être vu par Rospignac qui ne pouvait tarder à sortir. Il fit donc le tour et rejoignit ses quatre compagnons qui l’attendaient sur le quai.
« Il fait faim, hein, goinfres ?… et soif, ivrognes ! Sacs à vin !… Allons, ne faites pas ces têtes de carême-prenant… Je régale… En route pour l’auberge du Pré… D’autant que moi aussi j’enrage de faim, j’étrangle de soif.
– Ah ! Monsieur le chevalier, susurra Trinquemaille qui était le plus distingué de la bande, vous parlez peu, mais ce que vous dites vaut son pesant d’or… Et pour peu qu’on nous serve certain pâté d’anguille pareil à celui dont nous nous délectâmes l’autre jour, je bénirai, quant à moi, saint Pancrace, saint Barnabé et tous les saints du paradis.
– C’est bon, trancha Beaurevers, avec une bonne humeur, vous commanderez ce que vous voudrez. Êtes-vous contents ? Sacripants !… Filons, alors. »
Et ils filèrent, en effet, et d’un bon pas, dans la direction de la porte de Nesle.
Pendant ce temps, Rospignac se rendait droit au Louvre. Il fut introduit séance tenante auprès de Catherine.
Selon son habitude, elle commença par l’étudier en silence. Inspection très rapide d’ailleurs, – elle avait le coup d’œil prompt et sûr –, destinée à flairer, si on peut dire, la nature des nouvelles qu’on lui apportait.
Elle s’accommoda dans son fauteuil et attentive :
« Je vous écoute, Rospignac. »
Et Rospignac fit le récit des démarches qu’il avait faites dans la journée. Et, cette fois, il ne modifia en rien la vérité, il ne dit pas un mot qui ne fût rigoureusement exact. Non seulement il raconta mot pour mot ses conversations avec le cardinal de Lorraine et le vidame de Saint-Germain, mais encore il fit mieux : il sortit de son sein les deux bons et les deux pleins pouvoir du cardinal et les déposa respectueusement sur le bord de la table à laquelle s’accoudait Catherine.
Celle-ci les prit, les lut et les replaça là où elle les prit. Était-elle joyeuse ou mécontente ? Rospignac, qui la dévorait des yeux, n’aurait pu le dire, tant elle se montrait indéchiffrable. Elle réfléchit un instant. Puis en gestes posés elle prit une plume, attira à elle un parchemin et griffonna quelques lignes dessus.
Rospignac sentit son cœur battre à coups redoublés dans sa poitrine. Il venait de reconnaître que c’était un bon sur son trésorier qu’elle remplissait là.
Ce bon, elle le tendit à Rospignac haletant et avec un gracieux sourire, elle prononça :
« Ceci, Rospignac, est un faible témoignage de ma satisfaction et n’empiète en rien sur les promesses que je vous ai faites. Ces promesses seront tenues au-delà… si vous réussissez. Et je crois que vous réussirez. Cette affaire me paraît merveilleusement machinée. Vous êtes bien tel que je vous avais jugé : un fort habile homme. »
Rospignac prit le parchemin et se courba sous le compliment.
« Que dois-je faire, madame ? dit-il en se redressant.
– Continuer à servir MM. de Guise et à leur obéir en tout ce qu’ils vous commanderont.
– En tout ? insista Rospignac.
– En tout, répéta froidement Catherine. L’essentiel est que vous me teniez au courant.
– Et ces bons, madame ?
– Eh bien, ils vous appartiennent… reprenez-les donc, ainsi que ces deux ordres. »
Rospignac ne se fit pas répéter l’ordre. Il saisit les papiers et les enfouit dans son sein d’une main frémissante.
« Allez, Rospignac, congédia Catherine aimable, vos affaires sont en bonne voie. »
XV – ROSPIGNAC À L’ŒUVRE
Dans l’antichambre, Rospignac s’empressa de lire le bon de la reine. Et il rayonna.
« Cinquante mille livres !… Allons, M me Catherine fait convenablement les choses et je crois qu’elle a raison de dire que mes affaires sont en bonne voie. »
Il remit le bon dans son sein et, infatigable, il repartit se dirigeant vers la rue Saint-Antoine. En route, il réfléchissait.
En faisant des rêves tout éveillé, Rospignac était parvenu à l’hôtel du prévôt qui était situé dans la rue Saint-Antoine et avait son entrée dans la rue Saint-Paul, juste en face l’église de ce nom.
Ces redoutables fonctions étaient alors entre les mains d’Antoine Duprat, sire de Nantouillet de Précy, descendant du cardinal Duprat, ministre de François 1 er .
Ce puissant personnage lut l’ordre du cardinal de Lorraine que lui
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