Le Pré-aux-Clercs
cela vous contrarie. Ah, çà ! vous n’y pensiez donc pas, au mariage, vous ?… Je devine de quoi il retourne : M. le vicomte de Ferrière a daigné jeter les yeux sur quelque petite bourgeoise, quelque fille du peuple peut-être, et il est tout déconfit d’avoir trouvé là une honnêteté, un respect de soi-même qu’on ne trouve pas toujours parmi les honnêtes dames de la cour… Je croyais que vous me parliez d’amour… et je vois que vous n’aimez pas… que vous parlez simplement amourette, passe-temps de grand seigneur… Excusez-moi, monsieur, si je vous demande de briser là, mais c’est là un langage auquel je n’entends rien. »
La voix était rude, le ton glacial. Honteux, Ferrière courba la tête. Pourtant, il ne se fâcha pas.
« Chevalier, dit-il d’une voix altérée, je ne sais si ce que j’éprouve est de l’amour comme vous l’entendez ou ce que vous appelez une amourette… Mais je sais que dès maintenant aucune autre femme n’existe en dehors de celle dont je vous parle. Je sens qu’il en sera ainsi jusqu’à mon dernier souffle, dussé-je vivre autant que Mathusalem. Et si le malheur voulait que je ne fusse pas aimé (sa voix s’étrangla), eh bien, comme je suis trop bon catholique pour risquer la perdition de mon âme en recourant au suicide, comme la vie me serait insupportable, je vous jure que je m’en irais provoquer le premier venu et me ferais tuer par lui.
– Vous me faites pitié. Si vous voulez que je vous comprenne, si vous voulez que je vous aide, dites-moi tout. »
Et Ferrière, qui ne demandait qu’à parler, entama sans plus tarder le récit de ses relations récentes avec Fiorinda. Il le fit avec d’autant plus d’empressement qu’il avait appris que Beaurevers connaissait depuis longtemps la jeune fille.
« Vous avez sondé Fiorinda et, en honnête fille qu’elle est, elle vous a fait entendre qu’elle ne comprenait pas l’amour en dehors du mariage. Ceci, vicomte, est une indication précieuse. Je connais bien Fiorinda, allez, elle ne vous eût pas parlé ainsi si vous lui aviez été indifférent.
– Vous croyez qu’elle m’aime ! s’écria l’amoureux ravi.
– Je ne dis pas qu’elle vous aime, rectifia Beaurevers, mais ce que vous venez de me dire me prouve que vous ne lui êtes pas indifférent. Mort diable, il me semble que c’est quelque chose.
– C’est énorme, chevalier ! Vous me mettez la joie dans le cœur !
– Puisque vous me demandez mon opinion sur Fiorinda, la voici : celui que Fiorinda daignera agréer pour époux ne sera pas seulement un heureux mortel, il devra se tenir pour très honoré… fût-il roi. Je ne connais pas d’esprit plus noble, plus élevé que cette gracieuse enfant. Tenez pour assuré que, si haut que soit le rang auquel elle atteindra, elle saura l’occuper en toute dignité. De même qu’elle saura respecter le nom de son époux. Ce qui n’est pas à dédaigner à une époque où tant de grandes dames se font un jeu de fouler aux pieds l’honneur de leurs nobles époux.
– Oui, mais jamais M. mon père ne consentira à ce mariage, soupira Ferrière.
– Bah ! s’il vous aime, comme je le crois, dit-il, il se laissera attendrir.
« Laissez faire, vous verrez que tout s’arrangera. »
– Dieu vous entende ! soupira de nouveau Ferrière.
– D’ailleurs rassura Beaurevers, quand vous en serez là nous viendrons à la rescousse, M. de Louvre et moi. Et nous chapitrerons si bien M. votre père qu’il faudra bien qu’il cède. Vous ne connaissez pas le comte, vicomte, il est si éloquent que, ma parole, ni Dieu ni diable ne sauraient lui résister.
– Vous croyez, fit vivement Ferrière, que le comte consentira à s’entremettre dans cette affaire ?
– J’en suis sûr.
– Et vous croyez que… lui qui est d’illustre famille… il ne… Enfin, ce mariage ne lui paraîtra pas… ridicule ?
– Ridicule ! Pourquoi ridicule ?… En quoi ridicule ?…
– Enfin, insista Ferrière, dévoilant ainsi le fond de sa pensée, pensez-vous qu’il consentirait à recevoir dans sa maison Fiorinda, ex-diseuse de bonne aventure, devenue vicomtesse de Ferrière ?
– Pourquoi pas ? fit Beaurevers d’un air figue et raisin. Vous êtes étonnant, ma parole. Il me reçoit bien, moi, qui suis un ancien truand.
– Oh ! chevalier, protesta Ferrière, comment pouvez-vous dire des choses pareilles ?
– Quoi des choses pareilles !… Je
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