Le Pré-aux-Clercs
Malicorne, rapière au poing, accouraient au pas de course. À leur tête et les excitant de la voix et du geste, étaient Malicorne et ses trois amis.
Beaurevers le reconnut à l’instant.
Et très froid, avec ce sourire terrible qui n’appartenait qu’à lui :
« Décidément, dit-il, c’est bien à moi que ce soudard de Malicorne en veut. Allons-nous les attendre ? dit-il avec un sourire indéfinissable.
– Non pas, charbieu ! s’écria Ferrière qui brûlait d’en découdre, chargeons !… »
Et ils chargèrent, en effet.
Les deux premiers qu’ils rencontrèrent étaient deux des amis de Malicorne. Il y eut une double passe d’armes fulgurante. Les deux soudards tombèrent… Ils étaient déjà partis. Ils étaient maintenant en présence de Malicorne et du dernier de ses amis. Ce fut comme un tourbillon ; le soudard tomba, la cuisse traversée par un coup de pointe. Malicorne s’affaissa, assommé par le pommeau de fer de la rapière de Beaurevers qui venait de s’abattre à toute volée sur son crâne.
Ils étaient passés, bondissant sur la prairie, à la rencontre des quinze soldats privés maintenant de leur chef. Et en foulant l’herbe dans de gigantesques enjambées, Beaurevers grisé par l’ardeur de la lutte, la lèvre frémissante, les narines dilatées, l’œil en feu, Beaurevers lançait son cri de bataille :
« Beaurevers ! Le royal de Beaurevers ! »
Et Ferrière, exorbité, échevelé, saisi de la fureur de la bataille, criait avec lui :
« Beaurevers ! »
Et là-bas, derrière le gros des soldats qui avançaient, les quatre répondaient :
« Beaurevers ! Beaurevers !… »
Car ils étaient derrière les soldats, les quatre braves. Et ceux-ci avaient eu bien tort de ne pas prendre garde à cela.
La rencontre se produisit. Ce fut effroyable. Sur les soldats qui croyaient ne trouver que deux hommes devant eux, par derrière, les quatre braves tombèrent à bras raccourcis.
En moins de temps qu’il ne faut pour le dire, Beaurevers, Ferrière, Bouracan, Corpodibale, Strapafar et Trinquemaille abattirent chacun leur homme.
Les quatre soldats qui restaient, ahuris, désemparés, terrifiés, se virent entourés par six hommes qui leur apparurent comme des démons déchaînés. Les pauvres diables crurent bien leur dernière heure venue.
Beaurevers arrêta de la main ses compagnons qui allaient achever la besogne et prononça :
« Allons, filez… nous vous faisons grâce. Une autre fois, regardez-y à deux fois avant de vous attaquer à Beaurevers. »
Et ils ne se le firent pas dire deux fois.
Beaurevers contempla un instant, tout pensif, l’effroyable besogne qu’ils venaient d’accomplir en si peu de temps, les dix corps étendus sur l’herbe, dans des flaques de sang. Et il murmura, d’une voix attristée :
« Pauvres diables !
– Je vous conseille de les plaindre, fit Ferrière qui avait entendu. Ce n’est pourtant pas de leur faute si vous êtes là, bien vivant et sans une écorchure. Préféreriez-vous vous voir à leur place, baigné dans votre sang ? »
Ils se prirent par le bras et reprirent la route. Et à les voir si calmes, si paisibles, on n’eût certes pu supposer qu’ils venaient d’échapper à la mort.
Dès qu’ils se furent éloignés, Guillaume Pentecôte se trouva comme par miracle sur le champ de bataille. De quel trou invisible sortait-il ? Lui seul aurait pu le dire. Il était là, voilà tout. Il se mit à les suivre de loin, très prudemment.
XVIII – L’APPEL
Durant les deux jours qui suivirent, Beaurevers se rendit plusieurs fois à l’hôtel de Ferrière. Il y alla de préférence dans la soirée. Il fut toujours accueilli à bras ouverts par le vicomte, enchanté de trouver quelqu’un à qui parler de celle qu’il aimait.
Beaurevers paraissait avoir une prédilection marquée pour le jardin. Prétextant la chaleur, il y entraînait toujours le vicomte ou s’y rendait seul. Pendant ces deux jours, sans en avoir l’air, il se fit donner une foule de détails sur l’hôtel du vidame. Il se fit aussi connaître des serviteurs, dont il sut se concilier les bonnes grâces par d’abondantes distributions de pièces d’or faites à propos. En sorte que ces serviteurs s’habituèrent rapidement à le voir entrer et sortir et circuler dans la maison comme s’il eût été chez lui. Et pas un qui ne se fût précipité pour exécuter un ordre de M. le chevalier.
Pendant ces deux jours,
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