Le Pré-aux-Clercs
de petite flambe, qui me dis de sortir ?
– Oui, grand truand de grande truanderie. Et comme la porte est trop loin et que nous t’avons assez vu ici, tu vas filer par cette fenêtre ouverte, là, derrière toi. »
Malicorne fut secoué d’un éclat de rire homérique. Et, s’adressant à ses amis qui riaient :
« Tout à l’heure, le petit flambard va me menacer de me jeter par la fenêtre, dit-il. Non, c’est à mourir de rire.
– Tiens, fit Beaurevers de sa voix glaciale, tu es plus intelligent que je ne pensais. Tu as compris. Tu y as mis le temps, mais enfin tu as compris tout de même.
– Qu’est-ce que je vous disais ! pouffa Malicorne. Je serais curieux de voir comment tu t’y prendras, petit flambard.
– Comme ceci, grand truand. »
En même temps qu’il prononçait ces mots d’une voix que la colère rendait méconnaissable, Beaurevers accomplissait le geste.
Ses deux mains s’abattaient sur le colosse, l’une au collet, l’autre à la ceinture. Les deux tenailles le harponnaient solidement, le tiraient à elles, le soulevaient comme un fétu. Malicorne n’avait même pas eu le temps d’esquisser un geste de défense. Il se vit un inappréciable instant balancé au-dessus de la tête de ses amis effarés qui ne riaient plus. Il se sentit projeté, il fila comme un paquet à travers la fenêtre et alla s’aplatir lourdement sur la terre. Heureusement pour lui, ce n’était qu’un rez-de-chaussée.
Ce tour de force, au lieu de calmer les nerfs de Beaurevers, ne fit que les exaspérer. La colère qu’il avait maîtrisée par un puissant effort de volonté, se déchaîna soudain impétueuse, irrésistible, effrayante. Et livide, hérissé, l’œil fulgurant, il gronda d’une voix rauque, indistincte, en s’adressant aux trois soudards :
« À qui le tour ! »
Ils répondirent par une explosion de jurons suivie d’une bordée d’injures. En même temps, ils furent debout tous trois, ils se ruèrent ensemble, d’un même élan formidable.
« Que personne ne bouge ! » tonna Beaurevers en voyant que Ferrière et les quatre braves faisaient mine de charger.
Et l’accent était si impérieux qu’ils demeurèrent cloués sur place.
Beaurevers seul reçut le choc. Ce fut extrêmement, rapide, d’ailleurs.
Il projeta ses deux poings en avant, en un même geste foudroyant. Deux soudards atteints au visage roulèrent sur la table qu’ils entraînèrent dans leur chute, au milieu du vacarme de la vaisselle brisée.
Ceci fait, il pivota sur le talon et lança le pied en arrière comme il avait lancé deux poings en avant. Et le troisième soudard, atteint en pleine poitrine, alla s’étaler par terre à côté de ses deux compagnons.
Cela n’avait pas duré deux secondes en tout.
Beaurevers respira fortement et dit :
« Ha !… ça soulage !… »
Le formidable accès de fureur était passé. Beaurevers contemplait, lui aussi, ses trois adversaires hors de combat. Et dans son œil clair, étincelant l’instant d’avant, on eût vainement cherché la joie du triomphe… Il attendit un instant.
Les trois éclopés se relevèrent péniblement. Beaurevers les regarda fixement, froidement. Il ne leur parla pas, mais toute son attitude disait clairement qu’il se tenait à leur disposition au cas où il leur plairait de demander leur revanche. Ils se gardèrent bien de la réclamer.
Voyant cela, Beaurevers haussa les épaules et se tournant vers ses compagnons, comme si de rien n’était, sur ce ton d’irrésistible autorité qui était naturel chez lui :
« Partons », dit-il.
Sur le Chemin-aux-Clercs, ils tournèrent à gauche, se dirigeant vers la porte de Nesle. Beaurevers et Ferrière marchaient en tête. Les quatre, selon leur habitude, suivaient à quelques pas en arrière.
Ils firent ainsi une vingtaine de pas sans se presser. Répondant à une question de Ferrière, Beaurevers disait d’un air détaché en parlant de Malicorne et de ses amis :
« Bah ! Ils étaient ivres… Je ne vois pas d’autre explication. Je gagerais que, dégrisé, maintenant, Malicorne regrette ses malencontreuses paroles. Si tant est qu’il se souvienne seulement de ce qu’il a dit. »
Il achevait à peine ces mots qu’ils entendirent derrière eux le bruit d’une galopade. Et des clameurs féroces éclatèrent :
« Sus ! Sus ! Pille ! Assomme ! Tue ! Tue ! »
Ils se retournèrent d’un même mouvement.
Les quinze soldats de
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