Le Pré-aux-Clercs
on ne vit pas le comte de Louvre. Mais comme Beaurevers se rendit, dans la matinée de chacun de ces jours, au Louvre, comme il y eut à chaque fois un entretien particulier avec le roi, il est à présumer que cette absence du comte devait être concertée entre eux.
Le troisième jour, qui était un vendredi, le comte reparut. Ferrière avait dû être avisé de cette réapparition par Beaurevers, car ce jour-là il se rendit rue Froidmantel, à l’hôtel Nostradamus, précisément dans l’intention de s’entretenir avec le comte.
Pendant ces jours écoulés, Ferrière n’avait pas cherché à se rapprocher de Fiorinda. Pourtant, il pensait sans cesse à elle, lorsqu’il n’en parlait pas à Beaurevers. Fidèle à la tactique qu’il s’était imposée, dans ces cas-là Beaurevers se contentait d’écouter et se gardait bien de prononcer le mot mariage. Ferrière n’en parlait pas non plus, du reste. Seulement, sans qu’il s’en rendît bien compte peut-être, ce mariage, qui lui avait d’abord paru impossible, lui paraissait maintenant très naturel.
Une seule chose le retenait encore, le faisait hésiter : le profond respect qu’il avait pour son père. Un respect qui allait jusqu’à la crainte. Mais déjà la passion était assez forte pour le pousser à affronter une discussion qu’il pressentait orageuse. Il ne se rendait pas compte que le moment viendrait, rapidement, où cette passion le dominerait complètement, balayerait de son souffle puissant toute crainte, tout respect, tout préjugé. Alors, inévitablement, il résisterait aux ordres de son père. Peut-être irait-il jusqu’à se dresser contre lui.
Pour l’instant, ainsi que nous l’avons dit, la crainte de son père était encore la plus forte. Et c’est ce qui lui faisait instinctivement chercher un appui moral auprès du comte de Louvre, puisque l’appui de Beaurevers, qu’il savait lui être acquis, ne lui suffisait pas.
Il est certain que Beaurevers avait mis le roi au courant. Il est certain qu’il avait agi de telle sorte que sa faveur était acquise d’avance et qu’il était prêt à donner son appui à ce mariage. Cela s’était fait tout naturellement, facilement même : le roi n’avait pas pu échapper au charme puissant qui émanait de la gracieuse et tant jolie diseuse de bonne aventure.
C’est pourquoi le comte de Louvre ne montra pas la moindre surprise. Et ce fut aussi sans la moindre hésitation qu’il approuva. Il ajouta même avec une réelle sincérité :
« Pardieu ! Ce sera là la plus adorable vicomtesse qu’on aura vue ! Et savez-vous que je connais plus d’une grande et haute dame qui se trouvera fâcheusement diminuée à côté de cette vicomtesse-là ! »
Et en riant de son rire juvénile :
« Je n’ai qu’un regret : c’est de ne pouvoir me mettre sur les rangs moi-même… Mort Dieu, oui, vicomte, s’il ne tenait qu’à moi, je vous disputerais furieusement cette gracieuse enfant et j’en ferais une comtesse. »
Ces paroles transportèrent l’amoureux Ferrière. Mais il était d’un naturel jaloux. Cette jalousie perça malgré lui dans le ton qu’il mit à répondre :
« Qui vous retient, monsieur le comte ?
– Là ! là ! s’écria le comte en riant de plus belle, ne montrez pas les crocs, vicomte !… Voici le chevalier qui vous dira que vous n’avez rien à redouter de moi sur ce sujet.
– Le comte est marié, révéla tranquillement Beaurevers ainsi interpellé.
– Hélas ! oui, vicomte, je suis bel et bien enchaîné par les liens du mariage. Et le pis est que je suis tellement épris de celle qui porte mon nom. Et comme, suivant l’exemple du chevalier ici présent, la fidélité à ma dame est de rigueur chez moi, il s’ensuit que vous ne me verrez pas me dresser en rival devant vous. »
Ils éclatèrent de rire tous les trois. Et Ferrière, tout à fait rassuré maintenant, déclara avec un accent de conviction profonde :
« Alors, nous serons trois à pratiquer cette vertu assez rare par le temps qui court. Car, moi aussi, je le sens, je serai fidèle jusqu’à la mort.
– Or çà ! conclut le comte, non sans une pointe de malice, tout cela est bel et bien, mais vous oubliez, il me semble, que vous n’avez pas encore consulté la principale intéressée… Rien ne vous dit qu’elle consentira à devenir vicomtesse… »
Ferrière pâlit et regarda Beaurevers d’un air déploré.
« Bah ! Rassura le chevalier,
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