Le Pré-aux-Clercs
dire que cette digne enfant, qui est bien le meilleur cœur que je connaisse, me vient souvent en aide, du mieux qu’elle peut. Car elle sait que je suis vieille et pauvre, que l’ouvrage se fait rare, souvent au-dessus de mes forces qui s’en vont. Tant il y a que, sans elle, je me serais couchée plus d’une fois le ventre creux… ce qui est bien triste pour une pauvre vieille comme moi. Enfin, c’est pour vous dire que je me mettrais au feu pour elle. Car, Dieu merci, j’ai du cœur et n’oublie point le bien qu’on m’a fait.
– Abrégez, bonne femme, abrégez ! gronda Beau revers.
– J’abrège, mon digne seigneur, j’abrège. Il faut donc vous dire que ce tantôt Fiorinda est entrée chez moi. Elle était pâle, défaite… Du premier coup, j’ai vu qu’il lui était arrivé un grand malheur. « Mère Angélique, me dit-elle, je suis perdue si vous ne venez pas à mon secours. Voulez-vous me rendre un grand service ? – Si je le veux, douce créature du Bon Dieu ? Parlez ! voulez-vous que je me jette au feu pour vous ? que je lui dis. – Non, qu’elle me dit, ce que j’attends de vous est plus facile. Il faut aller rue Froidmantel, derrière le Louvre. Vous demanderez l’hôtel Nostradamus. Tout le monde le connaît, le premier venu vous l’indiquera. Là, vous demanderez à parler au seigneur de Beaurevers et au seigneur comte de Louvre de ma part. Vous leur direz qu’un grand danger me menace, que je ne puis sortir de chez moi, et que, s’ils ne sont pas là avant cinq heures pour me délivrer, je suis déshonorée, perdue, et que je ne survivrai pas à mon déshonneur. Vous leur direz, afin qu’ils comprennent et qu’ils vous croient, vous leur direz qu’il s’agit d’un mauvais tour que veut me jouer le baron de… » Doux Jésus ! voilà le nom de ce mécréant de baron qui m’échappe !… Attendez… Ros… Ros…
– Rospignac ! s’écria Beaurevers. Je m’en doutais !
– Rospignac ! triompha la vieille, c’est bien ce nom-là ! »
Elle allait reprendre ses interminables explications. Mais Beaurevers en savait assez maintenant. Il regarda l’heure.
« Trois heures à peine, dit-il, nous avons grandement le temps. »
Et coupant la parole à la vieille :
« Dites-moi, bonne femme, y a-t-il longtemps que vous avez quitté Fiorinda ?
– Le temps de venir de la rue des Marais, mon beau seigneur. Et vous pouvez croire que je ne me suis pas attardée à musarder en route. »
Beaurevers fouilla dans son escarcelle et y prit quelques pièces d’or qu’il mit dans la main de la vieille en disant :
« Eh bien, bonne femme, retournez près de Fiorinda et dites-lui qu’elle se rassure. Nous serons là avant l’heure qu’elle indique. »
La vieille fit sa plus belle révérence et partit en les couvrant de bénédictions : elle emportait de quoi vivre pendant deux mois.
« Eh bien, monsieur le comte, dit Beaurevers quand elle eut disparu, si vous le voulez bien, j’aurai l’honneur de vous accompagner jusque chez vous… C’est sur mon chemin, à peu près, et cela ne me retardera guère que de quelques minutes.
– Non pas ! fit vivement François. La jolie Fiorinda appelle à son aide le comte de Louvre. J’irai donc avec vous, chevalier. »
Beaurevers eut un mouvement de contrariété.
« Monseigneur, vous ne pensez pas que…
– Eh ! jour de Dieu ! je ne pense qu’à cela, au contraire. Chevalier, je sens l’aventure, je flaire la bataille, il va y avoir des horions à donner…
– Et à recevoir aussi, monseigneur, interrompit à son tour Beaurevers d’un air froid.
– Avec vous, les horions se donnent et ne se reçoivent pas, déclara François sur un ton d’inébranlable conviction.
– Songez que c’est peut-être un piège qu’on vous tend.
– Vous le déjouerez.
– Monseigneur !…
– Il n’y pas de monseigneur ici !… Il y a le comte de Louvre qui ne veut pas abandonner son ami Beaurevers !… Allons, c’est dit, je vais avec vous… Je le veux… et, qui sait, il n’y aura peut-être rien du tout ?
– Je l’espère bien, tudiable ! » dit assez brutalement Beaurevers.
Mais voyant la mine déconfite de François, il éclata de rire et son caractère insouciant reprenant le dessus :
« Au diable, arrive qu’arrive ! Nous verrons bien. »
Ils s’équipèrent. Beaurevers inspecta lui-même, et avec quel soin minutieux, la dague et la rapière de François.
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