Le Prince Que Voilà
injuste
envers moi, dit la girouette, de m’appeler ainsi : c’est le vent qui
tourne, et non pas moi…
Miroudot appartenait à cette espèce
de gens que les guisards vinrent à haïr presque autant que les huguenots et
qu’on appelait alors les politiques ; désignant par là les
catholiques qui ne voulaient en aucune façon en découdre avec les réformés,
soit qu’ils eussent pour eux quelques secrètes sympathies, soit le plus souvent
qu’ils tinssent le zèle du pape, du clergé, et de l’Espagnol pour excessivement
suspect, et redoutassent de se mettre sur le dos la tyrannie d’une Inquisition,
soit encore qu’ils fussent fidèles au Roi et clairement discernassent que la
guerre civile, où le Guise nous voulait jeter, ne profiterait qu’à lui seul, la
religion n’étant que le manteau de son ambition.
Ces Politiques si honnis
étaient, à la vérité, de fort bonnes et honnêtes gens, comme Miroudot, comme
l’Étoile, comme Roquelaure, mais y ayant entre eux une telle diversité de
nuances dans leurs opinions, et dans leur cœur beaucoup de prudence et peu de
zèle, ils ne surent jamais s’unir pour résister à l’oppression des guisards et
ne luttèrent contre eux que par leur nombre et par leur inertie.
Dès que je sus que le Roi était de
Lyon revenu avec Épernon, je l’allai trouver, et en son antichambre encontrai
une foule de courtisans qui l’assiégeaient, étant comme assoiffés de ses
faveurs et de ses libéralités, ne l’ayant pas vu de deux mois, la plupart
royalistes, mais d’aucuns guisards avérés qui mangeaient aux deux râteliers et
gloutissaient les écus de ce règne, l’œil déjà fiché sur ceux du règne suivant,
ou qu’ils espéraient tel.
— Ha, mi f i li ! me dit Fogacer qui de la presse surgissant et me donnant une forte brassée
m’entoura de ses bras arachnéens, l’œil fort vif sous son diabolique sourcil,
te voilà revenu de tes ambassades, entouré de je ne sais quelle odeur de soufre
et de fagots, comme au temps où tu courus un cotillon d’enfer parmi les tombes
du cimetière Saint-Denis. Mais c’est bien pis, poursuivit-il à mon oreille. Il
n’est question céans que des maléfices, sortilèges et autres sorcelleries dont
tu uses pour servir les desseins tortueux du Roi.
— Touchant cette magie, dis-je
en riant, ne sachant ce qu’il connaissait de mes traverses, j’ai surtout
prescrit à l’archimignon pour sa gorge des gargarisations d’eau bouillue et
salée.
— On dit plus, mi fili, dit Fogacer à voix fort basse.
— Que dit-on ?
— Que tu fus celui de la suite
d’Épernon chargé de remettre en sous-main de la part du Roi à Navarre deux cent
mille écus pour qu’il fasse la guerre aux catholiques de ce royaume.
— Mais Navarre ne m’a ni parlé
ni même vu.
— C’est justement par là que tu
devins suspect, n’y ayant pas apparence que le Béarnais t’ait pu oublier,
t’ayant encontré la veille de la Saint-Barthélemy. Aussi bien dit-on que ce fut
par le truchement du baron de Mespech que tu lui remis les clicailles.
— C’est invention pure et
simple.
— Mi fili, dit Fogacer, arquant son noir sourcil, une invention est rarement pure
et jamais simple.
À quoi, il rit, et étant appelé par
le révérend docteur Miron, me quitta, me laissant béant et alarmé des bruits
qui couraient sur mon compte en Paris, lesquels me désignaient clairement au
couteau des assassins, n’y ayant pas en ces temps-là fallace tant énorme
qu’elle ne fût avalée par le sot peuple. Je voulus m’en éclaircir auprès de mon
Quéribus, et le cherchant parmi la presse, je le vis s’entretenant avec un
demi-guisard, lequel me voyant approcher, prit précipitamment congé du baron,
et me jetant un œil effrayé par-dessus sa froidureuse épaule, s’enfuit comme
s’il avait vu le diable.
— Vertudieu ! me dit mon
Quéribus après m’avoir quasiment étouffé de ses embrassements et usé la joue à
force de poutounes, vous êtes, mon Pierre, en fort mauvaise odeur en Paris. Ces
deux cent mille écus sont une tache sur l’écu de votre bonne renommée !
À quoi il rit, fort content de son giòco di parole.
— Mais qui croit ce conte
absurde ?
— Nul à la Cour, sauf peut-être
le sottard qui me tenait la gambe, quand votre seule vue le mit à vaudéroute.
Peu de gens au Louvre ignorent, en effet, que si le Roi remit deux cent mille
écus à Épernon à son département, ce fut pour couvrir les
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