Le Prince Que Voilà
et infiniment pardonnant – pour peu qu’ils lui fussent
fidèles.
S’il faut trouver fautes à ce bon
Prince – ce à quoi je répugne tant je l’aimais –, c’est que cette
image de Roi qu’il s’était composée (à tant d’art et labour) par sa splendide
apparence, l’étiquette étudiée dont il s’entourait, l’éloquence travaillée de
sa parole publique, l’émerveillable intelligence des affaires de l’État en
toute occasion démontrée, et enfin avec ses officiers et ses serviteurs sa
générosité sans limites, bref cette image si belle, si noble, auguste même,
n’était pourtant qu’une image quasiment aussi immobile que la belle main qui
reposait comme du marbre – marbre sur marbre, eût-on pu dire – sur le
manteau de la cheminée, tandis que n’étant pas encore à bonne distance de lui
pour m’agenouiller, il ne me tendait pas encore sa dextre, gardant en ses
membres et jusque dans ses yeux fichés dans les miens, l’inaltérabilité d’une
statue.
Tout le temps que je fus à lui,
j’entends jusqu’à sa mort, Henri me parut souffrir d’une sorte de répugnance à
agir, à mouvoir et à sévir (puisque, hélas, les temps le voulaient). Non que
son vouloir fût faible, ni son âme, irrésolue. Mais lisant quotidiennement
Machiavel, il s’était persuadé qu’il valait mieux feindre la cécité,
dissimuler, temporiser, sourire ; déportements qui n’allaient que trop
selon la pente de sa nature, laquelle le portait à souffrir en stoïque, sans
battre un cil, les empiétements, les écornes, les dépossessions, voire les
humiliations. Non cependant qu’il n’en fût irrité, ni qu’il n’abandonnât en son
for le ferme propos de les rhabiller un jour à son avantage. Mais sa trop
longue patience donnait à ses ennemis enhardis, et parfois même à ses
serviteurs, l’impression qu’il était mol et couard, alors qu’il ne l’était du tout
(comme la suite bien le montra).
Ce Prince infiniment raisonnable eut
la faiblesse de croire en le pouvoir de la raison en un siècle zélé. Il voulait
raisonner et persuader plutôt que décoller les têtes qui conspiraient à sa
ruine. Il les fit enfin tomber, mais en la tout ultime extrémité, et comme en
désespoir de ne plus rien pouvoir ni vouloir qui fût autre.
Bien je me ramentois au sujet des
prédicateurs et docteurs de Sorbonne qui insultaient et calomniaient le Roi que
trois petites années après le jour et l’entretien que je suis à conter céans,
le Roi, étant contre eux fort encoléré, les manda ainsi que le Parlement devant
lui en son Louvre et leur fit deux grosses heures une âpre et forte réprimande
sur leur insolente et effrénée licence à prêcher contre lui.
Les marauds l’ouïrent en tremblant,
le plus tremblant de tous étant Boucher (le bien nommé) curé de Saint-Prévost,
à qui Sa Majesté dit qu’il était « méchant et impudent »,
ayant osé prêcher contre elle des calomnies et évidents mensonges, comme
d’avoir laissé entendre au peuple que Sa Majesté avait ordonné de jeter en un
sac à l’eau Burlat, théologat d’Orléans, alors que ce même Burlat non seulement
était bien vif, mais festoyait quotidiennement en sa compagnie et celle
d’autres prêtres, gloutissant, flaconnant, glosant et ergotant.
— Boucher, s’écria le Roi, et
vous tous, curés et docteurs de même triste farine, vous ne pouvez hélas nier
que vous ne soyez par là notoirement damnés, et par deux moyens :
« L’un pour avoir publiquement,
et en la chaire de vérité, détracté contre moi, votre Roi légitime et naturel,
et avancé plusieurs calomnies et propos contre mon honneur, ce qui vous est
défendu par l’Écriture sainte.
« L’autre, que sortant de
chaire, après avoir bien menti et médit de moi, vous allez droit à l’autel dire
la messe sans se réconcilier à moi, ni confesser lesdits mensonges et
médisances, combien que tous les jours vous prêchiez que quand on a menti ou
mal parlé de quelqu’un, se faut aller réconcilier à lui avant de se présenter à
l’autel.
« Et quant à vous, Messieurs
les maîtres ès arts de la Sorbonne, j’ai ouï dire que le 16 de ce mois, réunis
en vos murs après un bon dîner, vous avez pris, après en avoir débattu, une
résolution secrète, selon laquelle il était légitime qu’on ôtât le gouvernement
aux princes qu’on ne trouvait pas tels qu’il le fallait. On m’a prié de n’avoir
pas égard à cette
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