Le Prince Que Voilà
belle résolution, pour ce qu’elle avait été prise après une
repue. Mais cependant, Messieurs de la Sorbonne qui vous mêlez, après boire,
des sceptres et des couronnes, et vous Messieurs les prêcheurs, je voudrais
vous ramentevoir que le pape Sixte Quint, à présent régnant, a dépêché aux
galères, pour avoir médit de lui en leurs sermons une bonne douzaine de
cordeliers. Et enfin je veux, désire et commande que vous gardiez en la
gibecière de votre esprit qu’il n’est aucun d’entre vous – je dis
aucun – qui ne mérite autant et davantage que ces cordeliers ; que je
veux bien pour cette fois oublier et pardonner le tout, à charge de n’y
retourner pas, faute de quoi je prierais ma cour de Parlement de faire bonne et
exemplaire justice contre vous. »
Ce fut là, assurément une belle et
forte harangue, mais dont la suave raisonnableté volait trop haut pour
atteindre les âmes si basses qui l’écoutaient, lesquelles ne voyant poindre au
bout de l’algarade pour leurs gros cous de gras bénéficiera la hart qu’ils
méritaient, sentirent l’impunité accroître leur audace et la patience du Roi
redoubler la haine qu’ils lui portaient.
De Thou m’a dit un jour que les paresses
et retardements du Roi à agir et sévir tenaient à ce qu’il était avant tout un
homme de cabinet, aimant dans la quiétude de l’étude à méditer les us, les
coutumes et les édits du royaume afin de rhabiller les abus que son œil
pénétrant y avait discernés et qu’Henri ne fut jamais tant heureux que
lorsqu’il put, pendant les plus paisibles années de son règne, se vouer tout
entier à la construction de cet immense corps de lois qu’on appela après lui,
en fort légitime hommage à cette œuvre de grande conséquence : le Code
Henri III.
Je ne sais si, quant à moi,
j’apporterai prou d’eau à ce moulin, pour ce que j’ai vu le Roi, tout homme de
cabinet qu’il fût, prendre tant de décisions, lesquelles étaient en soi très
excellentes – comme l’ambassade d’Épernon à Navarre – mais qui
faillirent. Ce n’est point tant, touchant le Roi, la méditation qui n’arrivait
point à trouver en l’action une sœur, mais l’action elle-même qui paraissait
orpheline, n’encontrant jamais que des temps si mouvants et si incertains que
son échec faisait douter qu’elle ait eu pour mère la sagesse. Que si l’on veut,
pourtant, comparer le déportement du Duc de Guise en cette même période qui va
de 1584 à 1588, on observera qu’il parut lui aussi, pareillement paralysé,
hésitant, oscillant. C’est que le prédicament pour lui était tout aussi trouble
que pour le Roi ; que s’il avait pour lui l’or de l’Espagne et la faveur
du peuple, il avait contre lui la légitimité du souverain ; et qu’enfin
ayant pris pour bouclier la religion, ce bouclier, le poussant, l’embarrassant,
l’aveuglant même, le contraignait à marcher en crabe vers le trône.
Mon pauvre maître, lui, s’encontrait
alourdi en ses pas et démarches par l’énorme poids d’une conscience qu’il
n’arrivait point à réconcilier avec les plaisirs qui étaient les siens et qui
se trouvaient tenus en grand déprisement et détestation par les Églises (la
huguenote comme la catholique), le clergé, les ministres du culte et le peuple.
C’est pour se tirer du cœur ce fardeau nauséeux qu’Henri faisait si souvent retraite
dans des monastères, confiné en chétive cellule dans les prières et les
macérations, ou bien qu’il menait, pieds nus dans les boues et l’immondice des
rues parisiennes, d’interminables processions au cours desquelles, chantant et
priant derrière la bure du pénitent, il se flagellait. Tant est que quelques
crachats (calomnies, fallaces ou libelles) qui tombassent sur cette pauvre âme
du haut des chaires sacrées, quelque affront et écornement à son pouvoir que
lui fît subir le Guise, elle se trouvait en son for encore plus noire qu’on ne
la faisait. Tant est que si le Roi, en elle, eût voulu se venger, le pécheur,
lui, se résignait à boire sans broncher le fiel et le vinaigre des
humiliations.
Je ne dis pas que me vinrent toutes
les idées que voilà entre le moment où Du Halde déclouit l’huis et le moment où
posant un genou à terre devant le Roi, il me tendit sa belle main à baiser,
laquelle je pris avec délicatesse en ma rugueuse poigne, sachant tous les soins
qu’il prenait à la rendre suave. Mais elles me viennent
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