Le Prince Que Voilà
jour où je pars pour
l’exil. Être honni des deux parts, n’est-ce pas émerveillable ? J’eusse
été tué deux fois : la prime par votre balle. La seconde, par le
ridicule. »
— Moussu, voilà qui est
profond.
— À la ligne. « Mes
talents étant d’ores en avant inemployés, je m’en vais morfondre dans mes
terres, où je peux vous assurer que je ne mangerai aucun des plats de
champignons que l’on pourra m’envoyer. »
— Moussu, que viennent faire
ici ces champignons ?
— C’est par eux qu’Annet de
Commarques empoisonna mon cousin Geoffroy de Caumont.
— Mais le sait-elle ?
— Geoffroy de Caumont était son
cousin aussi.
— Havre de grâce !
Êtes-vous apparenté à cette furie d’Enfer ?
— Il se pourrait bien. À la
ligne. « Que si je dois encontrer une autre fois votre inoubliable
beauté…»
— Inoubliable surtout par le
cotel, dit Miroul.
— « Que ce soit, je vous
prie, en telle occasion, où il sera peu question de dague et d’arquebuse, mais
prou de l’admiration avec laquelle j’ai l’honneur d’être, Madame, en dépit de
tout, à jamais votre humble et respectueux serviteur. » Et tu signes pour
moi.
— Quoi, Moussu, pour
vous ?
— Tu signes S. Rien d’autre. S
suivi d’un point. Ajoute ce post-scriptum : « Ma mère étant née
Caumont-Castelnau, serions-nous donc cousins ? »
— Moussu, dit Miroul après
avoir tracé un S pansu des deux bouts, comment appelle-t-on une lettre où l’on
caresse qui vous a voulu mordre ?
— Une « captatio
benevolentiae » [36] .
— Et pourquoi avez-vous appétit
à capter la bienveillance de cette meurtrière ?
— Pour qu’elle cesse de me
vouloir meurtrir.
— Et le voudra-t-elle ?
— Se peut qu’elle m’aime, si
elle me croit honni du Roi.
— Se peut qu’elle contrefeigne
de vous aimer, dit Miroul, si elle décroit votre défaveur.
— C’est toi qui es profond,
Miroul, dis-je avec un sourire, que veux-tu ? On est toujours deux à jouer
ces jeux-là et ils sont toujours périlleux. Mais je préfère sentir son épée
liée à la mienne que de craindre de la voir saillir de l’ombre dans mon dos. Je
n’aurai pas toujours une Alizon.
— Ni un Miroul, dit Miroul avec
humeur.
— Ni un Miroul, dis-je avec un
sourire, lequel m’est une sorte de mentor, et beaucoup davantage. Miroul,
veux-tu faire incontinent de ta belle écriture une copie de la déposition de
Mérigot, ainsi qu’une copie de la lettre à La Vasselière.
— Moussu, ce que vous dites de
ma « belle écriture » est une captatio benevolentiae tout à
plein sans vergogne, vu que vous savez bien qu’il est onze heures, heure à
laquelle tout honnête homme est censé gloutir. J’ai grand’faim.
— Un effort encore, je vous
prie, Monsieur le Secrétaire ! De reste, je suis pour labourer face à toi,
écrivant une lettre au Roi.
— Quoi ? De votre
écriture ?
— Mais au Roi, Miroul ! Et
pour lui faire tenir tes copies !
— Ha ! dit Miroul en
souriant d’un seul côtel de la face, je suis infiniment honoré. Mais l’honneur
ne nourrit pas son homme.
Il fit plus de vingt remarques
encore de cette aigre farine, ayant une façon à lui de me montrer son affection
en me tabustant, mais cependant il fit les copies à merveille, sans ligne ni
mot sauter, et fort lisiblement, tandis que je faisais à Henri un conte
succinct de ce qui était advenu, ajoutant que j’avais fait écrire et signer ma
lettre à Marianne par mon Miroul, pour éviter que ces diablesses ne
s’avisassent de faire des forgeries de mon écriture et de ma signature, ayant
eu vent qu’on tenait chez la Boiteuse grande officine de faux et de
contrefaçons où l’on tâchait même d’imiter le sceau du Roi.
— Sais-tu, Miroul, qu’on brûle
la main droite au contrefacteur du sceau du Roi ?
— Avec la Boiteuse, dit Miroul,
il ne sera pas besoin de cela. Elle brûle déjà par le milieu. Et quid aussi
de la Reine-mère ? On dit aussi qu’elle l’a une ou deux fois forgé.
— Ha ! c’est différent,
dis-je. Henri ne veut point qu’on traite inhumainement ni sa mère ni sa sœur,
quelles traîtrises qu’elles lui fassent.
Je cachetai l’un dans l’autre les
trois plis à la cire et après une brève repue, priai Miroul de les porter
incontinent au Louvre.
— Moussu, entendons-nous,
dit-il d’un ton roide assez. Suis-je votre secrétaire ? Ou votre
« vas-y-dire » ?
— Tu
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