Le Prince Que Voilà
ravissant sourire, non huit, ajouta-t-elle, craignant en sa débonnaireté que
le pauvre Silvio ne se sentît rejeté de la poussinade qu’elle rassemblait dans
le chaud duvet de ses plumes. Allons, mes amis, reprit-elle, allègre et forte,
courez à votre chambre et faites vos bagues sans tant languir ! J’irai le
tantôt y jeter un coup d’œil, ajouta-t-elle, en leur donnant à chacun une
pression du bras, et en les lâchant, un petit toquement de la main sur la
nuque.
— Et moi, Madame, dis-je quand
ils furent partis, n’aurai-je donc rien de vous ?
— Monsieur, dit-elle avec un
petit brillement tendre et taquinant de ses beaux yeux de biche, vous aurez
tout, mais à mon heure, qui n’est pas celle-ci, ni la suivante, ni même celle
d’après, ayant un milliasse de choses à faire, où vous ne pouvez m’aider. Sauf…
— Sauf, dis-je.
— Que vous pourriez commander à
nos gens d’emplir pour les huit heures notre cuve à baigner d’eau chaude, pour
ce que à remuer ces bagues infinies, je me sens déjà tant crasseuse que la
Reine Margot, laquelle, si bien je me ramentois, se vantait d’être restée huit
jours sans se laver les mains.
Sur quoi elle rit d’un rire joyeux
et fraîchelet, et pivotant sur ses talons, son vertugadin tournoyant en corolle
sous sa fine taille, elle courut à ses tâches.
De la Reine Margot dont j’avais vu
de ces yeux que voilà le mariage avec le Roi de Navarre, je n’avais guère ouï
depuis que son frère l’avait bannie de sa Cour, étant quasi rejetée en raison
de ses folies par sa famille entière, et pour ce qui est de son mari, quoique
l’ayant acceptée en son château de Nérac, il la caressait assez de belles
paroles et bon visage, mais de la main, de la lèvre et du membre point du tout,
ne voulant pas qu’elle pût prétendre être grosse de sa greffe, y ayant tant
d’infinies probabilités qu’elle le fût d’un quelconque gautier, la dame étant
de soi si prodigue.
Or, le matin de notre département,
alors que j’allais sonner le boute-selle, ayant quasiment moi-même le pied à
l’étrier, un chevaucheur me vint remettre une lettre, et reconnaissant à lire
l’adresse la belle et forte écriture de mon père, je jetai la bride de ma
monture à mon Miroul, et à la hâte décachetai :
« Monsieur mon fils,
J’envoie cette lettre à votre
seigneurie du Chêne Rogneux et une copie d’ycelle à votre logis du Champ
Fleuri, assuré que je désire être que vous recevrez l’une ou l’autre, la
nouvelle que je vous y mande étant de grande conséquence, non point pour vous
mais pour le Roi, à qui il faut que vous la communiquiez dans l’heure, ou si
vous êtes au Chêne Rogneux, dans le jour : ainsi le veut le Roi de
Navarre, lequel – c’est la nouvelle comme ci-dessus annoncée – vient
de réchapper à un attentement d’empoisonnement sur sa personne, perpétré par un
de ses secrétaires nommé Ferraud, que sa femme lui avait donné. Ledit Ferraud,
mis à la question, dit et soutint qu’il l’avait fait par le conseil et
commandement de sa maîtresse, laquelle était malcontente de ce que son mari ne
consentît à l’approcher.
Toutefois, il se dit céans que la
froidure et négligence du Roi de Navarre touchant la Reine datant d’août 1583
(suite aux rumeurs de son avortement en la Cour du Roi son frère, alors qu’elle
était depuis quinze mois éloignée de son époux), il se pourrait que
l’attentement ait été inspiré, non point tant par l’ire et mauvaise dent de la
Reine que par son espoir de se remettre bien avec Guise, dont on sait qu’elle
était raffolée par-devant son mariage – se peut même par l’instigation
dudit Guise.
Le Roi de Navarre désirerait de
savoir de son cousin et souverain bien-aimé le Roi de France ce que Sa Majesté
voudrait qu’il fît de la Reine, ne voulant pas offenser Sa Majesté, en la
traitant inhumainement, mais ne désirant pas non plus la garder par-devers soi
en ses rangs et dignités.
Se pouvant aussi que cet
assassinement fît partie d’un plan plus général visant divers princes de la
chrétienté – comme on l’a bien vu lors de la malheureuse meurtrerie du
Prince d’Orange –, le Roi de Navarre supplie son cousin et bien-aimé
souverain de veiller à ses propres sûretés et à sa vie, priant le Ciel,
cependant, de le vouloir tenir en sa sainte garde.
Monsieur mon fils, je suis sain
et gaillard et vous souhaite le même ainsi
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