Le Prince Que Voilà
ses serviteurs, et donc de vous, son présent
prédicament étant désespéré.
— Désespéré, Fogacer ?
dis-je, le cœur affreusement me toquant.
— Tout à plein. Primo : la
Reine-mère (et bien sûr, tous les ministres qu’elle a nommés et qui sont ses
créatures) trahissent le Roi, ayant pris en sous-main le parti du Guise.
— Quoi ? Catherine gagnée
à Guise ?
— Le fort et le faible du
Guise, dit Fogacer avec son lent sourire sodomique, c’est qu’il promet à toutes
mains, tisse trop d’affaires, brouille trop de fils ! Ainsi, à ce vieux
fol de cardinal de Bourbon il a promis le trône, Navarre dépêché. À Philippe II,
il ne promet rien moins que la France, Henri et Navarre occis. Et à Catherine,
il promet – le second tué et défait – le sceptre à son petit-fils le
marquis de Pont-à-Mousson, lequel est le fils de sa fille Claude et du Duc de
Lorraine.
— Quoi ! dis-je,
Pont-à-Mousson accéderait au trône par les femmes ! qu’en serait-il donc
de la Loi salique ?
— Laquelle, dit Fogacer, n’est
pas une loi, mais une tradition dont Catherine méconnaît en France la force,
étant italienne.
— Je n’en crois pas mes
oreilles ! Catherine est-elle à notre pauvre Roi si mauvaise mère ?
— Nenni ! Mais jugeant
inévitable la victoire de Guise sur Henri, elle opine qu’en étant guisarde,
elle pourra adoucir, à la fin des fins, le sort de son fils, et au moins lui
sauver la vie.
— Le cuidez-vous ainsi,
Fogacer ?
— Non. Mais je ne suis pas loin
d’opiner comme elle que le Roi est quasiment pris dans les filets et qu’il est
peu assuré d’en sortir.
— Fogacer ! dis-je,
atterré et le cœur me toquant comme fol, havre de grâce ! que dites-vous
là ? Le Roi perdu ! Mais il n’a même pas livré bataille à
Guise !
— Il ne la peut livrer !
Je tiens de Miroudot – et ne me demandez point, mi fili, de qui il
le tient lui-même – que Philippe II a promis à Guise six cent mille
écus par an pour faire des amas d’armes et d’hommes de guerre contre le
Roi ! Et le Roi, que ses libéralités ont épuisé, que peut-il tirer du
Parlement ou des États ? S’il y a guerre, l’or espagnol la gagnera.
— Mais Navarre ? Mais
Élisabeth ?
— Mi fili, vous l’avez du doigt toqué ; le Roi ne peut s’allier à Navarre
que si Navarre se convertit, et Navarre ne peut se convertir sans perdre son
armée. Quant à Elizabeth, que peut-elle faire pour Henri étant elle-même en
perpétuelle attente d’assassinement jésuitique et d’invasion espagnole ?
Ajoutez à cela que le menu peuple et les marchands en Paris étant guisards, le
Roi n’est même pas assuré de sa capitale ! Silvio, poursuivit Fogacer,
moins pour demander à son page d’opinionner que pour s’assurer qu’il avait ouï
l’entretien d’une ouïe diligente, le voulant instruire de tout et son jugement
sainement façonner, que te semble-t-il des chances du Roi en ce
prédicament ?
— Petites, dit Silvio en se
levant tant lestement qu’un chat et les mains aux hanches, envisageant Fogacer
de son grand œil brun par-dessus ses boucles noires sur son front emmêlées,
mais…
— Mais ? dit Fogacer,
l’œil fiché sur Silvio et son expression tenant davantage d’une mère
émerveillée de son enfant que du diable.
— Mais, dit Silvio, le Roi est
notre souverain naturel et légitime. N’est-ce pas une grande force ?
— C’en est une ! dit
Fogacer ravi, me laissant béant de l’enthousiasme de son regard, lui que
j’avais toujours vu ricanant et gaussant. Mi fili, dit-il comme pour me
prendre à témoin des prouesses de son élève, avez-vous bien ouï Silvio ?
— Je l’ai ouï, dis-je avec un
sourire, et à son dire, j’ajouterai encore que le Roi est méfiant, secret,
habile et qu’il y a infiniment plus d’esprit dans son petit doigt que dans la
tête du Magnifique, la trogne du grand Putier, la panse du gros Pourceau ou les
cuisses de la Boiteuse !
— Par Jupiter ! Voilà qui
est parlé ! s’écria Fogacer en riant. On ne peut conclure à vous entendre, mi fili, que vous êtes raffolé de la Sainte Ligue et des Guise ! Si ne
suis-je pas ! Tout ce qui de soi se nomme « saint » ne
m’inspire pas fiance : la Sainte Église, le Saint Concile,
la Sainte Ligue et sortant d’elle comme le ver du fruit, la Sainte Inquisition ! Tudieu ! La Sainte Inquisition en Paris !
Où serait la liesse de vivre ? On
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