Le Prince Que Voilà
inquisitionne jà bien assez en ma
vie ! En Paris tracas et traverses me collent à la peau, plus nombreux que
morpions dans le poil d’un moine ! Mi fili, abuserais-je de votre
libérale hospitalité en demeurant céans le temps qu’il faudra pour que Miroudot
me trouve logis avec mon page dans un quartier où je serai tout à plein
déconnu, le mien me voulant voir pendre, écarteler, brûler !
— Brûler ? dis-je.
— Ne brûle-t-on pas les bougres
et les athéistes ?
— Mais le Roi ne vous peut-il
protéger ?
— Le Roi, hélas, ne le peut
plus, étant lui-même ouvertement accusé d’être bougre. Vous entendez bien, mi fili, que peu chaudrait ma bougrerie à mes bons voisins, poursuivit-il,
si je n’étais réputé « politique ». Il n’est même pas besoin de
l’Espagnol en Paris ! L’Inquisition y est jà ! Savez-vous qu’on fait
en catimini des répertoires des maisons des « politiques »,
pour les massacrer tous, le jour où Guise prendra la capitale ?
— Mais comment savez-vous cela,
Fogacer ?
— Ha ! dit Fogacer,
arquant son sourcil diabolique. J’ai la narine plus subtile que celle d’un
juif : de loin, de fort loin, du fond de l’horizon, je sens venir les
massacres.
À cela, tout soudain, Silvio,
mettant ses deux mains sur sa face, éclata en sanglots.
— Fogacer, dis-je, vous pouvez
céans demeurer avec Silvio aussi longtemps que vous le voudrez. Les gens que je
garde en ma seigneurie vous y traiteront comme le maître du logis. Mais que
dirai-je au Roi de votre longue absence ?
À quoi Fogacer balança à répondre,
ayant appétit en son émeuvement à prendre Silvio en ses bras pour le conforter,
et toutefois ne présumant point de le faire en ma présence.
— Vous lui direz, dit-il
détournant quelque peu la tête pour me celer son œil brillant de pleurs, mais
forçant néanmoins ses lèvres à un sinueux sourire, vous lui direz que le Ciel
incommodément prolonge l’intempérie de ma mère malgré mes bonnes curations.
— Mais qu’est cela ? dit
Angelina en entrant dans la librairie en un grand bruissement et tournoiement
de son vertugadin, Silvio en pleurs ? Fogacer, la larme au bord du
cil ? Mon Pierre, avez-vous tabusté mes deux grands amis que voici ?
— Nenni, dis-je avec un
sourire, et bien marri je suis qu’ils ne puissent avec nous s’en retourner
demain en Paris, attendant céans qu’on leur y trouve un nouveau logis, l’ancien
leur ayant failli.
— Qu’ils viennent donc loger
chez nous rue du Champ Fleuri ! cria-t-elle.
Quoi disant, elle les prit l’un et
l’autre par le bras, et les serrant à soi, leur sourit d’un air suave, les
aimant prou et étant en retour excessivement aimée d’eux, surtout de Fogacer
qui était d’elle de longue date si raffolé que ce raffolement chez tout autre
m’eût donné de l’ombrage. Mais bien savais-je qu’il y avait là cette sorte
d’amour qui ne comporte même pas cet appétit secret et ambigueux d’un père pour
sa fille ou d’une sœur pour son frère, mais se trouve, pour ainsi parler,
désubstantialisé en immatérielle tendresse.
Quiconque voyait Fogacer le voyait
sceptique, ricanant, diabolique, mais mon Angelina, aveugle à tout cela,
décroyait son athéisme, ses négations, ses mœurs, et il fallait que ce qu’elle
voyait fût vrai aussi en quelque guise pour que Fogacer répondît à cette image
qu’elle avait de lui par une perpétuelle et immutable adoration.
— Ha ma mie ! dit Fogacer,
sa voix tout soudain muant dans les notes claires et hautes jusqu’à devenir
infantine, je n’eusse osé le quérir de vous, quelque envie que j’en eusse, de
crainte de vous venir à traverse, mais si vous le voulez, je le veux !
Vous êtes tant bonne, bénigne et pardonnante que si j’avais davantage de
religion, je vous comparerais à la Benoîte Vierge !
— Coquefredouille que vous
êtes ! dit mon Angelina en se haussant sur ses talons pour lui piquer un
poutoune sur la joue, car Fogacer la dépassait d’une bonne tête, encore qu’il
se déportât avec elle comme un enfantelet, vous blasphémez !
— Ma mie, osez-vous bien me
tabuster ! dit Fogacer, ravi en son for d’être tancé.
— Vous blasphémez, petit sot
que vous êtes ! dit impérieusement mon Angelina, c’est péché d’oser me
comparer à la mère de Dieu, moi qui ne suis la mère que de six
diablotins – sept en vous comptant, dit-elle en envisageant Fogacer avec
un
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