Le Prince Que Voilà
seulement sa face, mais par contrecoup
les nôtres, Chicot reprenant cœur assez à son rollet de bouffon pour
dire :
— Henri, sais-tu qu’on a trouvé
en ton antichambre, laissés là tout exprès par quelque plaisant, deux dessins
au crayon, l’un représentant le gros Sottard…
— Chut, chut, Chicot ! dit
le Roi, la face toutefois égayée.
— … en pourpoint, l’épée
au côté, mais son bonnet de cardinal sur la tête, et au-dessous cette
légende :
Ah Corydon, Corydon, quae te
dementia coepit [37] ?
— Chut, chut, Chicot ! dit
le Roi en riant, le présomptueux présomptif héritier va entrer !
— … et l’autre, poursuivit
Chicot, représentant le grand Putier avec sa robe rouge et son bonnet de
cardinal, mais une grande épée nue à la main et dessous cette légende :
Domine, mitte gladium in vaginam,
Ecclesia nescit sanguinem [38] .
À quoi le Roi s’esbouffa à rire et
parut tout soudain ragaillardi et rebiscoulé de ses humeurs sombres et
ruminantes, au point même que sa face elle-même changea et sembla plus saine et
plus jeune.
— Page, cria-t-il, ferme l’huis
sur ma chapelle, afin que le présomptif ne voie pas mes puérilités ! Il en
ferait des contes infinis à ses amis guisards ! Et pourtant si d’aucuns en
leur âge d’homme, sucent, ou mordent leur pouce, pour aiser leur esprit et
apaiser leur âme, que ne peux-je, moi, à cette fin, découper des images ?
Et pourtant, je n’ai fait de mal qu’à ce malheureux manuscrit qui, de toute
guise, sera poussière dans mille ans.
— C’est bien prêché, dit
Chicot, contrefeignant d’avoir mal ouï, tout de Guise sera poussière ! et
bien avant mille ans !
À quoi, le Roi rit encore, et le
grave et austère Du Halde qui avait écouté ces folies et ces indécences le
souris aux lèvres pour ce qu’il voyait qu’Henri avait, grâce à elles, sailli de
sa malenconie, ouvrant enfin l’huis de l’antichambre, le cardinal de Bourbon
apparut, non point à la vérité, en pourpoint, mais en robe rouge et le bonnet
en tête, et sous ce bonnet, je ne sais quoi dans sa face de vain, de sot, de
faible et de violent qui de prime ne pouvait qu’on n’eût envie de le rabattre
et de lui se moquer. Le Roi, sa haute taille redressée, le pas vif, le visage
riant, et ses beaux yeux italiens étincelants de gaieté gaussante, marcha à lui
et sans lui présenter la main, ni souffrir qu’il mît le genou à terre, lui
donna une forte brassée et quasiment l’étouffa de caresses, de compliments et
de cajoleries, tels, et si grands, et si outrés, qu’on eût pu croire que le
cardinal, qui avait le double de son âge, était son fils et son dauphin.
— Mon cousin, dit le Roi qui,
lui prenant le bras sous le sien, se mit à promener le cardinal d’un bout à
l’autre de sa chambre et certes, plus vivement que la bedondaine du prélat n’y
avait agrément. Allez-vous me dire la vérité sur ce que je vais de vous
quérir ?
— Sire, dit le bonhomme (en
Paris on nomme ainsi un homme vieil, sans référence aucune à sa débonnaireté)
moyennant que je sache la vraie réponse à votre question, assurément je vous la
baillerai aussi roide.
— Ha, dit le Roi, en riant, mon
cousin, vous voilà pris !
— Comment cela ?
Pris ? dit le cardinal en écarquillant son œil sot.
— Mon cousin, reprit le Roi,
contrefeignant quelque gravité, Dieu ne m’a point donné de lignée jusqu’à cette
heure, et il y a grande apparence que je n’en aurai point. Hélas, toutes les
choses du monde sont incertaines, et le Seigneur pourrait me rappeler à lui ce
jour d’hui ! Cela advenant, la couronne tombe de droite ligne en la maison
des Bourbons : dites-moi, mon cousin, ne voudriez-vous pas alors, bien que
procédant de la branche cadette, prendre le pas sur votre neveu le Roi de
Navarre, et l’emporter par-dessus lui, comme le royaume de France revenant à
vous et non à lui.
— Sire ! Sire !
bégaya le cardinal, son œil rond effaré de poule roulant en tous sens en son
orbite, qui s’est jamais avisé que vous alliez passer ? Assurément, c’est
chose à quoi je n’ai jamais pensé moi-même, poursuivit-il en baissant une
paupière hypocrite ; je prie Dieu de tout cœur qu’il nous épargne ce grand
malheur, et ayant le double de votre âge, je crois que les dents ne me feront
plus mal de longtemps quand le Seigneur disposera de Votre Majesté… Mais
qu’Elle puisse avant moi
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