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Le Prince Que Voilà

Le Prince Que Voilà

Titel: Le Prince Que Voilà Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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fine mouche et
pouvant prétendre à la demoiselle, ou du moins à la bourgeoise de bon lieu, par
les manières et la vêture.
    J’ébranlai ses refus en lui assurant
qu’elle vendrait aux dames de la noblesse en Boulogne quantité de bonnets,
d’escoffions, de basquines et de haussecs (lesquels, en Paris, le menu peuple
appelle aussi « faux-cul » pour ce qu’ils étoffent les femmes maigres
en cet endroit). Mais ce qui emporta le morceau de clic et de clac, fut qu’en
ce voyage, elle voyagerait en coche (ses tendres cuisses n’ayant pas appétit à
la selle) et surtout, qu’elle passerait pour mon épouse et logerait ès auberge
avec moi sous même nom, moi-même prenant celui de son défunt mari. À ouïr cela,
ma petite mouche d’enfer me sauta au cou et me fit tant de poutounes et de
mignonneries que je me sentis tenu de lui dire qu’ayant juré fidélité à mon
Angelina, je ne jouerais qu’en public et non dans le privé le rollet de
l’époux. Mais, soit que la seule apparence déjà la comblât, soit que, me
connaissant de longue date, et ayant avec moi de frémissants souvenirs, elle
pensât que je ne serais si vaillant que de résister à des occasions si
répétées, mes propos ne rabattirent en rien son allégresse et elle commença
incontinent à débattre, l’œil rieur, de mes habits en ce voyage et des siens
qu’elle voulait le plus étoffés qu’il se pût, arguant que plus un marchand a
bonne mine, plus il vend.
    Il fallut deux jours pour avoir ces
habits. Mais dès que je les eus chez Alizon endossés, elle me dit que mon
moindre branle sentait encore trop le gentilhomme par je ne sais quel air de
hautesse et de facilité que je tenais de la Cour, que ma main senestre
cherchait par trop souvent la poignée de mon absente épée, qu’il y fallait
moins de légèreté, mais plus de pompe, que je ne marchais ni ne me mouchais ni
ne m’asseyais comme un bourgeois, que je ne devrais pas porter si haut la
crête, mais plus lourdement paonner comme un gautier qui a du bien, ne point
sautiller et virevolter, mais poser à plat le pied, lequel devait se porter en
dehors et non quasiment droit comme je le faisais, m’ôter la boucle d’or de mon
oreille dextre qui disait par trop le muguet, le marin ou le soldat, me
désembouffer le cheveu et le plaquer plus roide, ne me point parfumer du tout,
quitter mon anneau de médecin et mes deux bagues de pierreries, arborer, en
revanche, autour du col une montre-horloge en argent et l’envisager gravement
quand et quand, comme un guillaume dont le temps est précieux ; ne point
parler du bout de la langue, comme je faisais, mais du fond de la gorge ;
ne jamais rire dans l’aigu comme nos coquardeaux du Louvre ; ne point me
démener dans mes chausses bouffantes avec autant de vivacité que si mes fesses
étaient encore frivolement serrées dans les étroites chausses de Cour, mais
mesurer mes pas et démarches avec l’austérité convenant à l’ancienne mode. Que
si, dit-elle enfin en riant à gueulebec, je n’altérais pas tout à plein mon
déportement pour l’accorder à mes habits, mes compères marchands en Boulogne
verraient du premier coup d’œil la déguisure et éventeraient la mèche. En bref,
qu’il me fallait être instruit par elle en mes manières et apprendre aussi
quelques mots du jargon de bonnetier avant que de me hasarder en ma nouvelle
peau.

— Ma mie, dis-je, mi-piqué,
mi-diverti par le portrait qu’elle faisait de moi, (et de mon modèle) suis-je
donc à tes yeux si ridicule ?
    — Mais que nenni ! me dit
mon Alizon en me plaquant un poutoune à la commissure de la lèvre, vous êtes,
mon Pierre, ce que vous êtes, et il me plaît ainsi. Mais, dix années de Cour ne
peuvent qu’elles ne vous aient changé, car tout comme mes bonnets par mes
enjoliveuses, les hommes ne peuvent faillir à être façonnés. Et si vous n’étiez
si précieux et gracieux gentilhomme, vous aimerais-je ? Et d’autant que
chez vous au moins, l’homme affleure hors le courtisan.
    Je fus deux jours à m’instruire
auprès de ma petite mouche d’enfer des manières, du ton et du langage propres à
mon état, leçons qui excessivement l’amusèrent et la caressèrent, pour ce
qu’enfin elle s’y voyait au-dessus de moi, tout en m’apprenant le dessous.
Temps que j’employai aussi à louer une coche de voyage et à cajoler Quéribus
pour qu’il me prêtât son escorte, dont il se privait malaisément, tenant

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