Le Prince Que Voilà
inquisitif regard, rompant le cachet, il lut la
lettre, soupira et la relut derechef, moi l’envisageant cependant aussi
curieusement qu’il avait fait de ma personne.
Il faut bien avouer que le
gouverneur de Boulogne avait moins à se glorifier dans la chair que son épouse,
étant fessu et bedondainant, la face grasse et molle, et tant de plis à ses
paupières que c’est à peine s’ils ménageaient des fentes à ses prunelles,
lesquelles trahissaient à sa lecture malaise et embarras, comme si M. de Bernay
eût regretté, étant avide de son repos et ménager de son avenir, d’avoir à
choisir entre le Roi et la Sainte Ligue, alors qu’il eût de beaucoup préféré sa
présente indétermination, laquelle lui permettait de ne pas encourir l’inimitié
d’un des deux partis et de ne pas risquer sa place de gouverneur au cas où
celui-là, par male heure, emporterait la palme.
Sa deuxième lecture finie, M. de
Bernay ne dit ni mot ni miette, mais soupirant encore, me tourna le dos, s’alla
poster devant sa verrière dont il tapota d’un doigt les petits carreaux, comme
sur soi réfléchissant, et à la parfin retraçant ses pas jusqu’à moi, l’œil
remparé derrière les plis de ses paupières, il me dit :
— Monsieur, d’après ce que vous
m’avez dit en me la remettant, vous paraissez instruit du contenu de cette
lettre.
— Je le suis, Monseigneur.
— Où logez-vous ?
— À la Nef d’Or.
— Je vous y enverrai, sur les
deux heures de l’après-midi, le capitaine Le Pierre que je vous prie
d’instruire à son tour en cette affaire, afin qu’il y mette bon ordre.
À quoi j’osai faire quelque grise et
réticente mine et dire :
— Monseigneur, j’aurai peu
d’autorité à cet entretien. Ne pourrait-il avoir lieu céans et en votre
présence plutôt qu’en mon auberge où, de reste, la visite de votre capitaine à
un maître-bonnetier éveillerait la suspicion.
— Céans, cela ne se peut,
monsieur, dit M. de Bernay. Je serai absent de mon hôtel dans les deux jours
advenants pour visiter une terre que j’ai à dix lieues d’ici, mais le capitaine
Le Pierre, en mon absence, est député au commandement de la ville et du port,
et je suis assuré qu’étant un brave et bon soldat, il saura agir au mieux.
Je marquai ici par mes regards et
mon silence quelque étonnement de ce que le gouverneur d’une bonne ville du Roi
s’en absentât juste dans le moment où il apprenait qu’on tâchait de la lui
prendre.
— Le capitaine Le Pierre, dit
M. de Bernay, vous viendra voir avec sa femme sous le prétexte d’acheter à
celle-ci des parures et des affiquets, ce qui donnera à sa visite quelque
vraisemblante couleur.
— Monseigneur, dis-je après un
silence, si vous n’êtes pas pour apparaître entre le capitaine Le Pierre et
moi, comme le capitaine, lui, ne me connaît point, plaise à vous de me rendre
la lettre du Roi, afin de la lui montrer et de donner ainsi quelque créance à
ma mission.
— Votre requête est tant
naturelle que je ne peux que je n’y acquiesce, dit le gouverneur avec
empressement et en me tendant la lettre si promptement qu’on eût dit qu’elle
lui brûlait les doigts, et qu’il était content de passer ce brûlant paquet au
capitaine Le Pierre, tandis qu’en ses paisibles terres à dix lieues de
Boulogne, il se laverait les doigts que j’ai dits, de ce qui allait se passer
en sa bonne ville, et pourrait même arguer, en les occasions, n’avoir jamais
reçu ma visite, ni lu la lettre, étant déjà départi.
Le capitaine Le Pierre, quand il me
vint voir à la Nef d’Or, me fit un tout autre effet, portant en sa membrature
sèche, sa face osseuse, ses yeux noirs, la décision et la fermeté qui tant
manquaient au gouverneur. En outre, le regard franc, le geste expéditif, la
parole sans fard. Je le reçus en l’une des deux chambres que j’avais en ladite
auberge retenues, et pourquoi j’en avais loué deux et non pas une, encore
qu’elles communiquassent, le lecteur, je gage, le devine, la raison que j’en
avais donnée à Alizon étant que l’une, celle où elle dormait, et gardait l’amas
de ses affiquets, lui permettrait de recevoir ses chalands, et l’autre, les
guillaumes que j’aurais à entretenir.
— Mordieu ! s’écria Le
Pierre, fort dépit et colère après avoir lu la lettre de Sa Majesté, qui eût
pensé que le prévôt Vétus saurait tromper la confiance du Roi et se ferait
l’instrument du Guise
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